II

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Elle n'avait pas eu assez à nous offrir, pas assez de nourriture pour mes deux petits frères, ma grande sœur et moi. Nous étions maigres, frêles, nous manquions de tout, mais en dépit de cette dure existence nous restions en vie. Simplement grâce à l'amour qui soudait notre pauvre famille. Pourtant, cet amour était impuissant contre le monstre qui nous rongeait. La ville où nous vivions a décidé de tout nous prendre. Alors un soir, après son retour à la ruelle où nous étions établis pour la nuit, Maman nous a tendrement réveillés. Elle a soulevé les couvertures autour desquelles nous nous serrions. J'ai ouvert les yeux. Elle était fatiguée. « Les enfants... » sa voix s'était brisée. Elle tremblait. « On ne va pas rester ici ce soir. » « Ah bon, pourquoi ? » ai-je demandé. Son corps pleurait de grosses larmes toutes noires sous la pénombre de la ruelle. « Venez près de moi... ». Nous nous sommes tous blottis contre elle. Ses sanglots résonnaient entre les murs. Elle nous a repoussés lentement puis nous a indiqué qu'il fallait la suivre. Elle nous a dit de laisser les couvertures. Elle a commencé à marcher. Alors j'ai vu. J'ai vu le sang qui coulait de son ventre, un sang aussi noir que ses larmes. J'ai vu ses membres du côté droit. Ils semblaient cassés, comme si quelque chose les avaient percutés. « Il faut qu'on te soigne » ai-je lancé, le cœur cognant contre mes poumons. Sans se retourner, elle m'a dit « C'est trop tard, je ne veux plus vivre ».

Nous avons marché pendant des heures. La ville était derrière nous, la campagne immense composait l'horizon. J'avais faim et soif. J'avais pleuré. Et là, au bord d'une route inconnue, elle a dit à ma grande sœur de s'arrêter tandis que nous, nous continuions notre chemin. Ma grande sœur a gémi, imploré. Ma mère a crié. Ma grande sœur a concédé et accepté. Elle est partie en courant. Plusieurs heures plus tard, c'était à mon tour. Je me suis immobilisée sur la route où nous étions. J'ai étreint tout le monde, pour ensuite les regarder s'éloigner. Je ne pouvais plus les rejoindre, il n'y avait plus rien à rejoindre. Maman allait mourir. Maman n'avait et n'était plus rien. Je n'avais plus de mère. Juste une plaie béante toute chaude, là, dans mon cœur, diffuse. La tempête s'était levée sans que je ne m'en rende compte. J'ai crié, j'ai hurlé, j'ai pleuré. J'ai mêlé mes sanglots à la pluie et au vent, aux nuages d'orage et à la terre boueuse. Je pataugeais dans la boue. Soudain, un énorme bruit a déchiré l'espace. J'ai détalé sans savoir où j'allais. Ma mère m'avait abandonnée sur le bord de la route. J'étais livrée à moi-même et à la mort. La folie me guettait, la folie de la panique. Je ne sais pas combien de temps a duré ma course. Ce dont je me souviens, c'est que j'ai rencontré une porte ouverte. Je suis entré dans une vie et je me suis endormie.

Le plus beau cadeau du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant