Je me souviens... il y a des années de cela, des jours heureux que j'aie eu la chance de passer en compagnie de mon frère. Je jouissais à l'époque d'un de ces plaisirs innocent que seuls les enfants, dans leur ignorance et insouciance, sont les propriétaires. Un plaisir prenant racine dans le simple fait de vivre en bonne santé, et de partager des aventures extraordinaires avec les personnes que nous connaissons depuis le début même de notre existence.
Pour moi, tout n'était qu'un jeu. Voler des fruits chez le marchand, tirer la queue du chien qui passait par là, casser des vitres... tout. Je n'avais jamais connu mes parents. Je ne ressentais donc absolument aucun manque, ou aucune peine en pensant à eux. En fait, je ne pensais pas à eux, puisque ne je les avais jamais vu. Aucun souvenir, aucun plaisir ne nous liait, et donc, avec cette hypocrisie non volontaire, je me fichais royalement de ces êtres dont me parlait parfois Yone.
Yone.
Mon modèle, mon ami.
Mon frère.
Il était ma seul attache en ce monde. Celui pour qui je vivais, et grâce à qui je m'amusais autant. Je n'étais pas conscient de la peine qui le rongeait, lui qui avait vu nos parents mourir. Je ne me rendais pas compte du malheur qu'il éprouvait les soirs où nous ne parvenions pas à trouver quoi que ce soit à manger.
Il était un homme bon, poussé bien trop jeune à supporter des devoirs d'adultes.
Il avait aussi; et je m'en étonne encore; cette faculté incroyable de ne pas se soucier de l'image qu'il renvoyait aux autres. Il agissait, parlait, et pensait à sa manière, jamais de façon à plaire ou déplaire à la personne qui le regardait. Il ne se donnait pas de genre, ne faisait pas « comme ».
Il était lui, tout simplement.
Dans notre société, tout est régulé et programmé tel que personne ne veuille jamais montrer son vrai visage aux autres. Le commerçant fait semblant d'accorder de l'importance à son client, la femme fausse son intérêt pour ses courtisans, et les politiciens se font passer pour des êtres passionnés et engagés. Mais au final, à trop porter leurs masques, n'est-t-il pas juste de dire qu'ils remplacent leur véritable identité ? A toujours acter contre notre gré, ne devenons-nous pas un autre ?
Sans l'expliquer, Yone avait déjà compris tout cela. Il avait compris que ce qui fait de nous une personne en particulier, et pas une autre, ce n'est pas ce que l'on pense être, où que l'on se vante de cacher aux autres, mais plutôt l'addition de nos actes, paroles et relations. Ainsi, cacher ses intentions, falsifier ses sentiments et dissimuler ses envies sont tout autant de trahisons contre notre véritable « nous ».
Et lorsque le masque que l'on porte fusionne avec notre vrai visage, il n'est pas de retour possible.
On devient un autre.
Je ne me vanterais pas aujourd'hui en disant avoir atteint le même niveau de transparence que Yone, tant j'ai tenté de m'en approcher.
Mais bon, ce n'est pas comme si cela avait encore de l'importance à présent.
Du moins, pas pour un Disgracié de mon espèce.
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Une nausée fulgurante s'empare de l'homme, toujours allongé sur le dos, l'extirpant de ses songes. D'instinct, il se retourne mais se retient de vomir. S'il remet le peu qu'il a avalé, il mourrait de faim, et après avoir survécu tant de temps dans cet enfer, ce serait une honte. Ses bras qui le retenaient depuis quelques secondes s'écroulent sous leur propre poids, et sa face heurte le sol, égratignant sa joue.
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Cœur Gelé
FanfictionRIVEN/YASUO FANFICTION Elle est folle, il est raisonnable. Ou l'inverse? Dans tous les cas, ils auront besoin l'un de l'autre pour se reconstruire.