CHAPITRE 5

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  La perception du temps est bien abstraite. Elle dépend de nombreux critères qui eux-mêmes sont sous l'influence d'éléments différents. Les décrire tous un à un mériterait d'y vouer une vie entière. Une réelle perte de temps. À moins que s'y consacrer rapporterait un certain profit personnel, financier ou même culturel. Les hommes, y voyant un intérêt pertinent, sont alors parvenus à créer un modélisme leur permettant de se créer une idée qui pourrait leur convenir du temps. Cependant, ce mécanisme n'a aucun pouvoir sur ce dernier et est considéré comme d'aucune utilité pour la plupart des êtres humains. Néanmoins, il a eu un certain pouvoir sur notre passé, en a sur notre présent et en aura sur notre avenir. Le monde dans lequel nous vivons a été conçu à travers le temps, lorsque celui-ci semblait être favorable. Il s'agit d'un sujet dont beaucoup font abstraction mais absolument pas à prendre au poids plume. Au contraire, sa masse est pesante. Les actes décideront de la durée à laquelle ce poids pèsera sur les épaules. Éphémère désignerait celle-ci convenablement, à juste titre bien sûr. Éternelle serait au contraire le plus lourd des pêchés.

  Malheureusement pour moi, le temps avait choisi qu'il me serait un poids plutôt que des ailes. C'est pourquoi il me parut si long lorsque je déambulais dans les rues à la recherche de cette sublime jeune fille.

À la suite d'une heure entière de quête, j'abandonnai ; l'espoir de la revoir quasiment évanoui. Épuisé, je fis halte devant un parc occupé par les trois quarts d'un lac. L'eau formait un dégradé de bleu allant vers le gris. Les feuilles des arbres alentour clapotaient à la surface. De nombreux nuages parsemaient le ciel de part et d'autre.

  Tout d'un coup, un flot d'images me submergea. Mon corps était secoué par la force de l'eau, projeté en tous sens. Puis, je me retrouvais sous la surface, celle-ci à plusieurs mètres au-dessus de ma tête. L'air me manquait, il m'était impossible de remonter, quelqu'un m'en empêchait. Soudain, l'eau s'infiltra dans mes poumons, les remplissant peu à peu et les vidant de leur air. La lutte était inutile. Chaque mouvement me coûtait un effort insurmontable. Mon esprit vacilla.

  Je m'écroulai au sol. L'air me manquait, j'étouffai.

  Recroquevillé sur moi-même, la tête enfouie entre mes genoux, je balançai mon corps d'avant en arrière. La panique m'envahissait, je ne pouvais plus rien contrôler. Mon esprit était torturé par cette vague de souvenirs, il ne pouvait les assimiler correctement. Que m'arrivait-il ?

  Des doigts me pressèrent l'épaule. Ils étaient fins et chauds. C'était la main d'une fille. La même fille qui m'avait aidé une heure plus tôt. Elle était toujours aussi belle ; le contact de sa peau contre la mienne était électrisant. Cela me procurait des milliers de frissons.

  Elle se tenait debout, à côté de moi, le regard attristé. Elle retira sa main, à mon plus grand regret, et s'installa à mes côtés, à même le sol.

  Son regard plongea dans le mien, découvrait les tréfonds de mon âme. L'inquiétude se lisait dans ses sublimes yeux bleus.

  - Ça va ?demanda-t-elle d'une voix douce.

  - Oui, parvins-je à répondre difficilement.

  Je marquai une courte pause avant de reprendre.

  - Je voulais te remercier toute à l'heure mais tu es partie si vite...

  - Je suis désolée mais je devais partir... Mais la prochaine fois évite de te rendre dans un supermarché sans argent, ça se voit tout de suite, rit-elle gentiment.

  - Oui, je tâcherai d'y penser la prochaine fois, ris-je aussi.

  Un silence gêné s'installa entre nous.

  Je connaissais la cause de ma gêne - sa beauté - mais pas la sienne. Pourquoi sa manière de poser les yeux sur moi était-elle si transperçante ? C'était tellement troublant...

  - Comment t'appelles-tu ?demandai-je timidement.

  - Donc...tu ne te...commença-t-elle déconcertée. Non, oublie, se reprit-elle soudainement. Je m'appelle Léa, et toi ?

  Mon intuition me soufflait que cette fille me cachait certaines choses. Sa réaction était suspecte, que voulait-elle dire avant de se reprendre ? Avais-je fait ou dit quelque chose qui lui aurait déplu ? Son visage ne m'était pas inconnu mais je ne saurais dire où et quand l'avais-je aperçu. Sûrement avait-elle la même impression que moi mais alors pour quelle raison réagit-elle ainsi ?

  - Moi c'est Julien, enfin je crois...avouai-je un peu perdu.

  - Comment ça, tu crois ? Tu n'es pas sûr de ton prénom ?demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

  Je ne répondis pas. Quelle réponse pouvais-je donner à cette question ? Si je lui expliquais entièrement ma situation, elle ne me croirait pas ou prendrait peur. Or, je ne souhaitais ni l'un, ni l'autre. Léa était jusqu'à présent mon seul repère, la faire fuir serait une terrible erreur. Bien qu'elle fût mystérieuse, j'avais l'impression de connaître la jeune fille en face de moi. Tant de questions sans réponse...

  Son corps était si proche du mien que j'en perdais le souffle. Mon cœur battait la chamade, et pas seulement à cause de ma crise de panique. Sentir son regard sur moi provoquait en moi des milliers de sensations, et je ne savais comment réagir face à cela.

  Soudainement, sa main entra en contact avec la mienne. Ses doigts se posèrent doucement sur les miens et les étreignirent légèrement. Quelle agréable sensation ! Sa peau était douce et chaude, la mienne glacial. Mon corps était encore secoué de soubresauts, il s'agissait sûrement de la raison pour laquelle elle me prenait la main. Pourtant, je sentais que ce geste cachait autre chose ; mais quoi ? Je ne le savais pas, peut-être le saurais-je un jour.

  - Où sommes-nous ?

  Je n'obtins pas de réponse alors je me tournai vers elle. Des larmes coulaient le long de ses joues rosies par le froid.

  - Oh non, pourquoi pleures-tu ?m'inquiétai-je. J'ai fait ou dit quelque chose qui n'allait pas ?

  - Non... Mais il s'est passé tellement de choses depuis que...bégaya-t-elle, depuis l'accident...

  - Comment ça ? Quel accident ?

  Ses sanglots redoublèrent d'intensité.

  - Je suis désolée, murmura-t-elle.

  Je la pris dans mes bras, elle s'y réfugia en pleurant. Elle enfouit sa tête au creux de mon cou. Sentir son corps contre le mien était une toute nouvelle sensation et bien qu'elle soit plus que plaisante, la situation m'intriguait. Je ne comprenais pas, pourquoi pleurait-elle ? De quel accident parlait-elle ? Que s'était-il passé, bon sang !

  - Julien, je suis vraiment désolée...continua-t-elle, je n'aurais pas dû venir te voir. C'était une erreur ; je dois m'en aller.

  Tout à coup, elle se retira de mon étreinte, se leva et partit en courant, tentant désespérément de cacher ses larmes. Je n'eus à peine le temps de me relever qu'elle avait d'ores et déjà disparu. On dirait bien que dans l'art de disparaître elle excelle ! Et pourtant, j'avais la ferme impression qu'elle n'était pas la seule à exceller dans cette matière...

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Un nouveau chapitre, une nouvelle situation, de nouveaux personnages. Que va-t-il se passer, à votre avis ?^^

À découvrir dans le prochain chapitre...

Cold Silence [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant