Irène

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Le braiment dissonant de Jolie sortit Achille de la torpeur qui engourdissait son corps. Il secoua vivement sa tête pour tenter de se libérer définitivement de l'abattement inhabituel qui l'avait gagné. Un énième cri de la bête l'ébranla. Les deux billes noires de Jolie étaient furieusement dirigées vers lui, indiquant la baisse alerte de sa patience. Achille posa sa main sur la grande joue de l'animal et embrassa le museau de la bête. Jolie ne se laissa pas amadouer par ces caresses qu'elle devait juger insincères. Il continua à faire valser sa main sur l'échine brune de la bête trépidante. Jolie était une ânesse au caractère impétueux et indomptable. Son énergie ardente la faisait davantage ressembler à un bidet qu'à une bourrique. Depuis qu'elle avait mis bas à son ânon, Jolie semblait avoir déblayé le mot patience de son vocabulaire. Alors qu'Achille avait pensé que la maternité lui offrirait douceur et sérénité, le caractère de l'ânesse avait redoublé de fougue. Fougue dont Achille aurait bien eu besoin en cet instant. L'adrénaline du départ s'était envolée pour laisser place aux affres du doute. C'était la première fois qu'il faisait face à ce qui semblait être du découragement. Ou peut-être de la peur. La peur d'échouer et de s'en retrouver humilié. La peur de voir ses rêves et ses ambitions réduits à néant.

Il se risqua à jeter à coup d'œil à ses deux compagnons de voyage. Antoine et Xavier chargeaient leurs ânes déjà sellés tout en bavardant bruyamment. Leur conversation légère ponctuée de rires éclatants sonnait fausse en ce moment de trouble. Les sourires sincères des deux jeunes soldats finirent d'agacer Achille qui finit de charger précipitamment sa bourrique avant de l'enjamber et de la faire avancer. Les sabots de Jolie s'enfonçaient bruyamment dans le sol boueux de la route ce qui eut l'inconvénient d'alerter Antoine et Xavier de sa fuite.

— Où comptes-tu partir ainsi ?, demanda Xavier avec un rire que les oreilles d'Achille eurent du mal à supporter.

— Vous êtes terriblement lents, répondit implacablement Achille.

Xavier s'irrita de cette réponse pleine de mépris et d'audace et voulut enfourcher sa bête pour rattraper l'insolent. Antoine le retint et lui chuchota quelques paroles calmement. Elles eurent pour effet d'apaiser la colère de Xavier qui ne put toutefois s'empêcher de buter une motte de terre avec son pied. Achille continuait de s'éloigner des deux frères qui préparèrent leurs bêtes en hâte pour le rejoindre.

Le voyage pour Mycènes commençait.

La première journée fut autant éprouvante pour les trois jeunes hommes que pour les ânes dont la vigueur commençait à faire défaut. Le soleil tapait fort sur les pauvres bêtes qui faiblissaient à une allure inquiétante. Antoine proposa une courte halte auprès d'un étang afin que les bêtes se désaltérassent et se reposassent quelques instants. Les bêtes plongèrent goulûment leurs langues roses dans l'eau claire avant d'aller s'allonger sur l'herbe calcinée par le soleil. Un olivier diffusait une ombre parsemée sur les trois bêtes qui en profitèrent pour s'accorder une sieste.

— Je pense que nous pouvons nous permettre de nous arrêter une bonne heure. Pendant ce temps, je vous conseillerais d'aller vous laver dans l'étang, de manger quelque chose et surtout de boire. Le soleil est très fort ; il risquerait de nous assommer si nous ne prenons pas de précautions, prévint Antoine.

Achille regarda Antoine et Xavier enlever leurs vêtements et s'immerger dans l'eau. Il s'assit au bord de l'étang, retira ses sandales et y plongea le bout de ses pieds. C'était très certainement ridicule mais il avait une peur bleue d'enfoncer entièrement son corps dans une étendue d'eau à la profondeur incertaine. Alors que ses deux amis pataugeaient gaiement dans l'eau, tirant de l'amusement à noyer l'autre et à s'éclabousser, Achille retira ses pieds déjà bien trop enfouis dans le bassin redoutable. Il arrachait frénétiquement les brins d'herbes brunis qui entouraient ses pieds de ses mains rougies par le soleil. Sa peau d'habitude pâle supportait mal cette exposition prolongée avec la petite boule de feu qui trônait dans le ciel. Achille menait une quête permanente de l'ombre. Il s'y réfugiait autant que possible, supportant mal le soleil de la Grèce qui donnait à la Terre l'aspect d'un bûcher inévitable. La semaine de trajet deviendrait rapidement insupportable si la montée de chaleur ne se décidait pas à freiner. 

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 15, 2017 ⏰

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