ACTE I

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Un mardi après midi comme les autres, une allée bordée de lauriers. Le décor est planté. Je rentre chez moi et j'accompagne les garçons jusqu'au gymnase, où ils ont encore deux heures à tirer avant de quitter le lycée. L'atmosphère est pesante, pourquoi partir si tôt ? Il reste dix minutes avant que ne sonne la fin de la pause. Le groupe marche à bonne allure alors que toi, Eole, tu traînes le pas. Je ne veux pas te laisser seul, si bien que nous sommes rapidement distancés.

Arrêt sur image, ta main tremble lorsque ramènes tes cheveux vers l'arrière, en un mouvement qui n'appartiens qu'à toi. Je sais que je te plais, tu ne me laisse pas indifférente non plus et cela fait quelques semaines que nous nous tournons autour. Mes mains sont moites et je ne peux me défaire de la désagréable impression que quelque chose va arriver. C'est bête, c'est le printemps. Tout le monde aime le printemps, l'air est léger et prend un goût de renouveau. Ce n'est pas vraiment mon cas, le printemps me laisse une sensation étrange, une de celles qui s'insinue sous la peau, qu'on ne saurait caractériser et encore moins dire si on l'apprécie réellement ou non.

« Alors, le bac blanc d'hier ? »

Vaine tentative de ma part d'engager une conversation normale, certes agréable mais qui n'apporte jamais rien de vrai. Une conversation prévisible, facile à gérer, surtout pour moi qui manie les mots et les relations avec difficulté.

« Quand j'étais petit je voulais devenir astronaute pour me perdre dans les étoiles. Mais ce n'est plus la peine parce que les étoiles je les ai trouvées dans tes yeux. Je crois que je t'aime... »

Les mots se veulent assurés, comme s'ils avaient été répétés maintes et maintes fois. Mais ta voix te trahit Eole, elle n'est pas aussi claire que tu le voudrais. La phrase tourne en boucle dans ma tête. Elle me paraît si cliché. Les mots défilent encore et encore devant mes paupières fermées et mon palpitant rate un battement. Je sais Eole que tu me fixes et que tu attends. Une réponse, un mouvement, une réaction quelle qu'elle soit. Il est quinze heures cinquante-quatre, les garçons doivent être plus loin. Les fourbes, ils savaient, tout était planifié. Je relève la tête, une envie folle de me mettre à courir me prend, je veux crier que je t'aime aussi, que je ne sais pas quoi faire ni comment il faudrait réagir. Pourtant je ne fais rien et tu amorces un mouvement vers le gymnase.

« T'es vraiment chou. Oui. Non. Je sais pas. »

Difficile de faire pire réponse ma vieille... Un rictus gêné et je crains t'avoir blessé. Plus tard on en rira. Je crois. Une bise amère sonne la fin de cet étrange échange et tu t'en va. Je reste plantée là et jette un regard machinal à mon téléphone. Mes doigts pianotent un message d'explication, je veux m'excuser de ne pas avoir répondu à tes attentes. Un autre message qui cette fois ne t'est pas destiné, je me dois d'avertir celle qui a joué le rôle de Cupidon de l'avancée de ses manœuvres. Après tout c'est bien elle qui me parle sans arrêt de toi.

Une vibration. Elle se dit si heureuse pour moi. Super, et maintenant ? Ça rend bête l'amour, on croit toutes au prince charmant et quand il arrive il n'y a plus personne pour l'accueillir. J'ai seize ans et je me prends pour une de ces héroïnes de roman submergée par la violence de ses sentiments. Pathétique.

Tomber de rideau.

EoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant