ACTE II

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Un bus en direction de l'Espagne, deux adolescents un peu niais assis côte à côte. Un peu engoncée entre l'imbécile du devant qui a reculé son siège, la fenêtre et un sac à dos rempli de nourriture, je m'efforce de regarder à travers la vitre. Je ne veux pas te regarder Eole, tu risquerais d'entrevoir mon malaise. Quelques jours ont passé depuis la déclaration. Pourtant, rien n'a vraiment évolué entre nous. Les explications échangées par l'intermédiaire de textos bourrés de smiley n'ont pas su dissiper la gêne timide qui subsiste.

« J'aurais peut-être dû te demander avant de m'installer là »

« Peut-être. C'est pas grave.»

C'est toujours pareil, les mots me manquent. Et ceux qui se pressent derrière mes lèvres abîmées ne doivent pas encore être dits, il est trop tôt paraît-il. Je crève d'envie de te le dire Eole à quel point je suis contente que tu prenne des initiatives. Parce que moi, j'en suis tout bonnement incapable. J'ai trop peur que tu me rejette, ou de faire des conneries. Alors je reste de marbre et je continue à regarder dehors. Tu comprendras vite que c'est ma manière à moi de me protéger, je construis des murs. Seulement j'oublie qu'à vouloir bâtir trop vite le mur est fragile et que l'eau de mes larmes intérieures fragilise la pierre.

Mais n'allons pas trop vite. Pour l'instant nous ne sommes rien, juste deux individus un peu paumés qui n'ont jamais connu, jamais rien compris à l'amour le vrai, qui n'est pas celui des livres. Et pour l'instant Eole, tu es encore trop préoccupé pour étudier mes remparts et trouver le meilleur moyen de les faire tomber. Pour l'instant je fouille dans mon sac à la recherche d'une paire d'écouteurs usés et les branche sur mon téléphone. Je t'ai déjà envoyé de la musique alors tu sais tout de mes goûts éclectiques. Je te propose de partager, c'est bien, ça nous évite d'avoir à parler pour ne rien dire. On sait tous les deux que de toute façon on est incapables d'aborder le sujet qui nous tient à cœur, ni de caractériser notre relation. Non, nous ne sommes plus simplement amis, pas encore « en couple », et cependant, il y a bien plus qu'un simple désir qui plane entre nous.

Les kilomètres passent, rien de plus que des banalités n'ont été échangées. Je les entends qui cancanent au fond du bus, je ne sais pas quoi dire, si ce n'est que je suis mal à l'aise. Je me demande si j'ai fait le bon choix. J'avais beau dire, suis-je vraiment prête à tout ça Eole ? Ta main s'égare, elle vient se poser doucement sur la mienne. Je ne dis toujours rien. Alors on reste comme ça, nos mains juste enlacées et écoutant la même musique lourde de sous entendus. Mon cœur bat, je pense trop, je ne pense à rien, je crains, tout mon corps me lâche avant même que les choses sérieuses ne soient seulement envisageables.

En outre, nos mains sont moites et chaudes Eole, c'est dégueulasse, ça poisse et on doit les essuyer d'un mouvement peu naturel sur nos jeans un peu trop usés. Nos épaules s'effleurent, à moins qu'il ne s'agisse d'un genou. Je suis tellement occupée à ne pas te regarder dans les yeux que je n'ai plus vraiment conscience de mon corps, alors même que mes sens s'exacerbent. Je ne veux pas te lâcher, je ne crois pas que tu le veuille non plus d'ailleurs, on est pas si mal là finalement. J'échange un sourire avec ma voisine d'en face, tu fais semblant de ne rien remarquer, de ne pas voir que j'ai délibérément tourné la tête vers toi. On est adorables, on est coincés, l'amour nous rend niais.

Tomber amoureux.

EoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant