Chapitre 1 : Un château noir sous une Lune rouge

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     Les ténèbres. Encore et toujours. Il y a plusieurs genres de ténèbres. Les vraies ténèbres, si denses qu'on y étouffe, et les belles ténèbres, où l'on souhaite s'échapper, pour tout fuir, et d'où on ressort pour repartir affronter le monde. Parfois on s'y cache pour verser des larmes trop longtemps retenues, seul afin que personne ne nous voit dans ces moments de faiblesse et de vulnérabilité. Les ténèbres où je suis sont encore différentes...elles sont vides. 

     Depuis combien de temps je suis prisonnière ? C'est simple, d'après mes calculs, environ trois jours. Trois jours sans nourriture, sans eau, dans ce qui semble être une tour. Mais malgré l'obscurité, je suis parvenue à percevoir, à l'aide des vibrations dans l'espace, où je me trouvais. Je pourrais reconnaître cet endroit entre mille : la seconde demeure de Karl Heinz.                                                
     Les Tsukinami se sont empressés de m'emmener ici après m'avoir capturée. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Pff, franchement, quel intérêt de m'enfermer dans ce château inhabité ? Karl Heinz n'ose pas s'approcher de la forêt avec la Lune rouge. Il devient lui aussi vulnérable à cette période, tout comme Ayato et ses frères, ce qui n'est pas pour me déplaire. Ce fumier doit sûrement être planqué dans un recoin du monde des démons, hors de danger.                                         
Mon dos et ma tête me font horriblement souffrir, les morsures de ces saletés de loups également. Dommage que ma régénération soit si lente, mes pouvoirs tout comme mes blessures se rechargeraient mieux à l'air libre... 

     Mes seules entraves sont les ténèbres, pourtant, elles sont aussi mon berceau...

     J'entends du bruit dans le couloir, des voix qui se tapent la discut'. Carla et Shin Tsukinami, encore ces  loups pouilleux qui viennent me voir. Que me veulent-t-ils donc après toutes ces années ?
     J'entends l'ouverture de ma cellule, Shin se charge de libérer mes membres tandis que Carla, lui, nous regarde de haut, quel arrogant je vous jure. Je crache mon mépris à ses pieds. Ma salive est teintée de rouge.

-Le chef veut te voir, Akatsuki, déclara-t-il d'une voix rauque et froide.

     Akatsuki est mon nom de famille. Une famille qui prospérait autrefois, les Sakamaki à leur coté. Les Akatsuki étaient respectés dans tous les mondes pour la détention de capacités remarquables : la maîtrise des dimensions, de l'espace et du temps. Des pouvoirs devenant parfois aujourd'hui un fardeau, car je suis la dernière descendante de cette famille déchue. 


     Je me lève doucement, en lançant un regard cruel aux deux hommes en face de moi. Un-œil me retient les poignets, afin de me conduire à la salle principale, Écharpe nous emboîte le pas. Je me demande qui est "le chef" dont il parle. Comment peuvent-ils accepter de parler de quelqu'un ainsi, alors que leur sang est des plus nobles ? N'ont-ils donc aucune fierté dans leur cœur de fondateur ? Ce ne sont pas mes affaires, mais ça fait pitié. Mais en tout cas, pas de soucis, ce "chef" doit être quelqu'un qui essaie de s'emparer de mes pouvoirs, encore. Si c'est le cas, il ne doit pas savoir que cela le brûlerait instantanément. C'est fou comme le monde est ignorant de nos jours.
     Je prie seulement pour que ce ne soit pas la personne à laquelle je pensais quelques instants plus tôt... Carla passe devant et ouvre la pièce principale de la grande demeure. Je me débats férocement pour que le cyclope me lâche. Celui-ci me jette par terre, je me retrouve à genoux. Je déteste être à genoux. Je me relève tout de suite, en rage, et j'entends Shin gueuler :

-Elle est ici !

     Elle ? Comment osent-ils m'appeler ainsi ! Ma pitié disparaît aussitôt. Je me promets de les réduire en steak saignant lorsque j'en aurai l'occasion. Miam~ ...j'ai vraiment faim on dirait. Mais je ne le sens pas. À vrai dire, à cet instant, je ne ressens pas grand chose.

En face de moi, un homme en noir me tourne le dos. Il se retourne doucement, je me paralyse sur place. Et merde, parfois je déteste avoir raison. Je reconnais aussitôt ses cheveux blancs, son visage blême, la soif de vengeance et de sang dans ses yeux bordeaux. Cette beauté effroyable, ce charisme dangereux...

-Tu as bien grandi depuis ce jour.

-Ça fait un bail, Karl Heinz. Vous ne prenez jamais de vacances ? répliqué-je sur le même ton.

-...Si, à ma manière. Je t'ai convoqué pour passer un marché. Ne crains rien, je ne te ferai pas de mal si tu coopères.

Aussi direct que moi, kono yarô. Un marché... Il a demandé aux Tsukinami de me capturer et de me torturer avec des loups et des chaines pendant trois jours, pour venir me voir et me proposer un marché. C'est hilarant.

-Je souhaite que tu ouvres une porte pour le monde des esprits, continue-t-il sur le même ton, j'aimerai retrouver des amis à moi. C'est tout ce que je demande.

Je ne dis rien. De longues secondes passent. Ce type est complètement malade.

-Et moi, ma part, c'est quoi ?

-Tout simplement t'offrir ce que tu souhaites le plus. Je peux te le donner et, si tu ouvres ce portail, je veillerai à ce qu'il t'arrive et également à ce qu'il reste avec toi toute ta longévité. Réfléchis bien...

-Tu ne sais rien de moi. Mon seul souhait est de te voir crever.

     Le regard de Karl Heinz change, un soupçon de colère accentue l'expression de son visage. Pas étonnant, il a toujours été un peu caractériel, comme Bibi. Mon regard transperce son âme. J'en conclue qu'il souhaite atteindre ses fils avec une chose qui se cache dans le monde des esprits. Je dois à tout pris me méfier, son projet doit être vraiment maléfique cette fois, pour m'emprisonner de la sorte. Je dois savoir ce qu'il mijote.
J'examine mes mains, les marques ont presque disparu, mes pouvoirs sont rechargés. Je dois trouver un plan pour sortir du manoir, créer un portail dimensionnel est impossible à l'intérieur.

-Tu veux faire la dure avec moi ? grogne légèrement le roi des démons en venant vers moi et en soulevant mon menton, un air écœurant de convoitise sur son beau visage. Je vais en profiter avec toi, tout comme je le ferai avec mes fils.

     Je ne sais pas ce qu'il veut faire à ses fils, et je ne veux pas le savoir. Ça m'est égal. Tout ce que je sais, c'est que je ne le laisserai pas faire. Pas le choix, tant pis pour l'évasion, il me faut agir immédiatement. Je me concentre et ferme les yeux. Ce qui va arriver ne plaira pas à Karl Heinz. Le sol se met à trembler sous nos pieds. Les hommes autour de moi ont les sens en alerte.
Carla demande ce qu'il se passe, et quand son regard s'arrête sur la fenêtre, la Lune devient rouge sang. Le temps se fige autour de nous. Je ressens cette sensation familière de l'énergie parcourant mon corps, je suis dans mon élément, l'électricité et la chaleur qui crépitent dans mes veines me sont connues. Enfin à l'aise, je récite une incantation :

- Moi, Aika Akatsuki, dernière descendante de la famille du temps, j'ordonne aux espaces et aux dimensions de s'unir. En tant que protectrice de la créature Ève, j'invoque les dernières élues pour la pomme d'Adam. Qu'elles viennent à moi, maintenant !

      Les temps stoppent leur cours, et la Lune conserve sa couleur. J'ai réussi à fusionner les différents espaces-temps afin que Karl Heinz soit retardé dans ses plans. Ils sont encore secoués par ce qu'ils ont vu, j'en profite alors pour décamper à toute vitesse. Karl Heinz envoie Carla et Shin à mes trousses. Je me sens épuisée, mais c'est pas le moment de flancher, je dois tenir le coup. Je ne tiendrai cependant pas l'allure très longtemps. Je dois économiser mon énergie, tout en arpentant les couloirs du château comme une fusée. La porte d'entrée est à ma portée, je la défonce littéralement, pas le temps de faire dans la dentelle.
     Enfin l'air libre ! Je cours me réfugier dans les bois. Les cris acharnés des Tsukinami derrière moi m'alertent, je ne pourrai pas leur échapper... J'invoque alors un portail dimensionnel de justesse, en utilisant un arbre pour m'enfuir, laissant les autres dans mon sillage. Direction le manoir des six vampires. Il faut prévenir les Sakamaki. Leur vie est en jeu...

Diabolik Lovers : Le requiem des six ÈveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant