Le Dilemme de R. Cadischac

Le Dilemme

« Répondez-moi honnêtement, recrue Patricoeur, pourquoi avez-vous rejoint la marine spatiale ? »

Le capitaine Sitiago était fixé dans son fauteuil, les doigts entrelacés la main dans l'autre. Son regard insidieux perçait les moindres gestes de Thomus, qui restait de marbre lui aussi. Ce dernier avait informé l'équipage de la crise qu'ils allaient affronter dans les heures à venir, et venait faire son rapport au capitaine. Ils étaient sur le pont, entourés de quelques officiers de la marine affairés sur leurs appareils de mesure et leurs écrans holographiques.

Thomus ressentit comme une gène. On lui avait rarement posé des questions sur ses engagements. A dire vrai, il lui paraissait aujourd'hui qu'on ne lui avait jamais rien demandé d'aussi personnel. Son flegme et sa droiture suffisaient à comprendre qu'il s'affirmait pleinement. Mais son supérieur lui avait posé une question, et il devait y répondre.

« Pour servir l'empire, monsieur.

– Ne soyez pas timide, jeune recrue. Je me doute que vous souhaitez servir l'empire mais, pourquoi exactement.

– J'imagine que... j'imagine que c'est ainsi que je me vois servir nos citoyens. Les protéger, protéger la science, protéger le savoir.

– Bien. (Il marqua une pause) Vous a-t-on déjà dit comment se déroulaient les engagements à mon époque ?

– Oui... Enfin, je me le suis imaginé.

– Vous vous l'êtes imaginé ? Vous imaginez beaucoup de choses. (Marquant une pause avant de reprendre :) Voyez-vous, peu après la guerre, le service militaire était obligatoire pour tout homme valide de plus de 18 ans. Nous n'avions pas le choix. Nous étions conditionnés à la dévotion et prêtions le serment de protéger la Glyphe. Ce n'est pas le cas de votre génération.

– Je comprend, monsieur. Répliqua-t-il en approuvant d'un hochement de tête.

– Et pourtant vous, vous avez choisi cette voie par conviction. Vous êtes un homme rare, monsieur Patricoeur. Un homme que même ma génération de soldat n'a pas connu. Des hommes qui ont le sens du devoir et s'engagent pour les bonnes causes - comme vous - ne courent pas les rues.

– Merci, monsieur. »

Le capitaine se mit à ricaner. Il se pencha sur son bureau, adoptant une attitude plus décontractée. Thomus le remarqua rapidement et se raidit sur sa chaise, comme pour compenser le manque de rigueur de son interlocuteur. Kaerl Sitiago était un homme mystérieux dont le passé restait obscur. On savait qu'il avait participé aux opérations de recolonisation mais peu connaissaient ses véritables exploits. Seuls des rumeurs sur des actes héroïques circulaient dans les coursives.

Une mine nostalgique s'empara de son visage. Les yeux plongés dans le vague, la bouche entrouverte comme pour dire quelque chose qui n'arrivait pas à sortir. Il frappa deux fois son accoudoir avant de poursuivre :

« Bien ! J'ai contacté l'état-major avant que vous n'arriviez sur le pont et nous avons conclu la même chose. Je vais engager le navire dans le puits à gravité comme convenu. Nous ne pouvons pas faire autrement. Notre mission passant avant les potentiels incidents, nous ne pouvons nous permettre de nous égarer pendant 50 ans hors des voies spatiales.

– Sauf votre respect monsieur, comment comptez-vous ralentir l'appareil une fois la ceinture de Kuiper atteinte ? Nous avons perdu notre rétro-propulsion.