Aujourd'hui, il me regarde les yeux tristes. Je déteste ce regard. Je veux dire, je suis déjà triste non? Toute cette tristesse qui s'accumule. Les murs immaculés blancs qui n'absorbent rien. Le noir, lui, il absorbe. Mais les murs blancs, ils n'absorbent pas une once de cette tristesse. Ça rebondit, ça cogne. Si je demandais à mon père de peindre mes murs en noir, il me regarderait bizarrement, puis il me crierait qu'on a besoin de lumière. Il aurait raison, on dégage assez de sombres couleurs, de sombres pensées et de sombres ondes comme ça, si les murs se mettaient à puer la tristesse, qui sauverait la pauvre famille Ommy?
Je dois avouer que je ne suis pas douée pour la couleur, pour la joie, et ce qui sauve généralement les causes perdues. Je suis défaitiste, j'abandonne vite. Depuis la nouvelle, je me passe en boucle la plus belle chanson du monde dans les oreilles. Evidemment, elle est triste, mais je pense qu'il lui aurait fallut une puissance bien plus élevée que sa puissance pour en rajouter. Peut être que je me trompe, qu'elle ne fait qu'accentuer la situation?«Eva, tu m'écoutes?»
Je relève la tête vers mon père assit sur mon lit.
«Si je te réponds sincèrement, je doute que tu apprécies papa.»
Il pousse un long soupir. Un pincement au coeur me vient. J'accentue sa douleur. Quand il me voit, il souffre déjà, alors pourquoi suis-je incapable de ne pas faire pire?
«Je suis désolée papa. C'est que...
-Non, Eva, ça va, ne t'en fais pas. On en parlera plus tard n'est-ce pas? Je descends voir ta mère, enfin l'aider, tu sais, pour certains papiers.»Je crois percevoir un soupir derrière la porte qu'il venait de fermer, le type de soupir que tu pousses lorsque tu rassembles toutes tes forces pour éviter de pleurer. Et au final, le soir, une fois seul, du moins dans ta tête, tout finit par lâcher et tu te mets à pleurer ce que tu as retenu par fierté. Depuis exactement deux semaines, cette vie est mon quotidien. Pourtant j'ai des bonnes notes, sûre de ne pas rater mon bac, j'ai des amis, qui m'aiment autant que je les aime, je ne déprime pas plus que ça. J'imagine que le problème c'est que je vais mourir. Dis comme ça, ça parait terrible, et ça l'est. Pas pour moi, parce que moi je ne serais pas là pour le vivre, je ne vivrais pas l'absence de ma fille, ma soeur, ma meilleure amie. A vrai dire, je suis sûrement la moins à plaindre. Jusque là ma vie avait été plate, je n'avais pas regretté ne pas avoir bu, ne pas avoir fumé, ne pas avoir couché, s'être contente de simples aventures. Et au final, mourir saine m'effraie. A 18 ans, qui veut mourir sans connaitre aucune sensation, plus haute que la satisfaction d'avoir réussi à satisfaire ses parents. Voilà mes ambitions d'une vie, j'ai voulu exister aux yeux de mes parents; être comme il faut, et j'ai réussi. Et maintenant que je vais mourir je les contrarie, et je me déteste.
Non pas que ce sentiment me soit particulièrement nouveau, mais ce n'est pas le sujet. J'attache ma tignasse rousse frisée dans un chignon ressemblant à un champs de bataille, et j'enfilais un legging de sport serré, ainsi qu'un pull assez large pour me descendre en dessous du peu de fesses dont j'avais hérité de ma mère. Assise en tailleur sur mon lit je me demandais combien de fois j'ai souhaité mourir dans ma vie. Je veux dire, ma vie d'avant, celle où j'allais mal. Une fois mon décompte fait, et sûrement faux, je me rends compte que la mort n'arrive pas à point nommé, elle vous prend quand sa cape a assez de place pour vous engloutir férocement. Et j'ai peur du noir; j'ai toujours eu peur du noir, et j'aurais peur du noir jusqu'à y être forcé. La mort choisit son moment, le moment où vous avez oublié sa piètre existence. Je ne peux m'empêcher d'enfiler mes baskets, lorsque la colère monte trop vite et que je ne veux pas rajouter le poids de ma colère au poids de la tristesse qui assaille la maison. J'ai tort, le blanc avale la tristesse, et il nous la recrache à la figure. On dégouline de tristesse. Elle nous colle à la peau, aux vêtements, et tu te laves, tu te laves, tu frottes, mais ça s'incruste et ça s'accroche alors tu t'avoues vaincu, d'un combat que tu as mené en vain, en le sachant depuis le premier jour.
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the world of a dying woman
Non-Fiction«La mort n'est pas une rupture, c'est la fin.» Eva a 18 ans et n'a que deux mois pour apprendre que si la fin t'es imposé, le nombre de pages pour écrire l'histoire n'en est pas moins illimité.