Rapport n°3

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- Hold me tight -


Lors de la dernière séance, je fus très étonnée de voir son regard. Il m'avait plutôt glacée. Les perles de cristal dans ses yeux prouvaient sa souffrance. Malheureusement, il n'avait eu aucun jeu de regard, une fois le miens posé sur le siens, il s'était empressé de l'abaisser. Au moins j'avais eu la preuve qu'il m'écoutait. Je m'étais penchée sur ce regard, malgré la fraction de seconde, j'avais lu son âme. Elle était noire, tristesse, colère, mépris, tout était lié. C'était une mélodie infernale qui se chantait en lui. Elle lui célébrait sa souffrance comme une fête nationale. Celle qu'on célèbre pour se sentir libre.

« Pourquoi as-tu baissé le regard ? Lui avais-je demandé. »

Je m'étais penchée pour chercher son regard mais cette fois, il l'avait tourné sur le côté pour le fuir. J'avais lu ses sentiments, il ne lui restait plus qu'à les ignorer, eux qui avaient fait surface, eux qui s'étaient échappés du navire coulant.
Il avait commencé à respirer fortement. Cela l'avait donc paniqué et j'avais mis fin à la séance. Il était alarmé, affolé, effrayé que je puisse tout savoir.
Avant donc de commencer la troisième séance, je relu mon dernier bilan.

« Le voici mademoiselle Hara. »

Le gardien l'amena, je vis encore ses sangles qui le maintenaient à ses accoudoirs et aux cales qui lui tournaient les pieds. J'eus pitié de lui, il était si médiocre dans cette posture. Une marionnette que je déchiquetais, petite fille violente que j'avais été. Une idée me vint à l'esprit. J'interpellai donc le gardien avant qu'il se fonde dans l'obscurité :

« Excusez-moi, enlevez-lui ses sangles. »

Je sentis le regard de Chittaphon mais ne le cherchai, je ne voulais le paniquer, deux crises de panique n'étaient bon pour mon CV, en revanche je maintenais celui du gardien qui devait sûrement me prendre pour une patiente d'un asile qui se serait échappée à la recherche d'une vie, vue sa stupéfaction.

« Vous êtes folle !

–Détachez-le »

L'homme se rapprocha de Chittaphon un peu hésitant. Il était très peu confiant. Je ne pensais que mon patient n'était vraiment dangereux, il manquait simplement de considération.

« Il est dangereux.

–Comment peut-il me faire confiance s'il est attaché ?! »

Il souffla mais s'exécuta en tremblant. Maintenant détaché, Chittaphon n'osait bouger. Ses membres ne savaient plus ce qu'ils devaient faire, comment bouger, comment vire ? Il regardait ses deux mains libres, étaient-elles à lui ? N'était-il pas le monstre des limbes de l'obscure océan noir ? J'avais justement peur qu'il réagisse violemment, c'est fréquent chez un patient. Trop curieux d'être lui, il pouvait être prendre d'envie de poser à nouveau ses mains sur un cou fragile, voir s'il savait toujours aussi bien tuer ; c'est pour cela que je laissais ses sangles au niveau de son torse et à ses pieds. Respire, mais ne vit pas encore.

« Te sens-tu mieux ? »

Toujours aucune réponse mais au moins, il avait réagi, il ne restait plus fixé dans le vide. Il était assez fasciné par ce qu'il retrouvait. Je pouvais le comprendre, les retrouvailles étaient toujours émouvantes.
J'allais entamé une nouvelle conversation dont je serai sûrement la seule à converser lorsqu'il leva sa main. Il l'avait levée jusqu'à ce qu'elle avait entouré la faible lumière que projetait la petite ampoule. Il ne souriait mais ses yeux démontraient sa joie. Sa main retrouva un semblant de jour, c'était le plus beau cadeau.

« Je suis contente que cela te fasse plaisir. »

Je lui lançais un sourire chaleureux bien que je savais qu'il ne pourrait le voir puisqu'il ne voulait me voir. Je savais aussi que s'il le voyait réellement, il devinerait qu'il n'avait aucune forme de sincérité. Il avait ce don de tout savoir, tout sauf ce destin qui l'avait plongé au cœur d'un malheur cruel. Celui-là il n'avait pu le voir. Le coup était arrivé aussi vite que l'hirondelle dans le ciel.

« Oh, la séance est terminée, avais-je remarqué, je les trouve trop courtes, je ne peux avancer ! Tant pis. La prochaine fois, tes sangles seront enlevées au niveau de tes chevilles mais seulement si tu es sage. »

Le gardien s'apprêtait à lui rattacher mais je l'empêchais.

« Je lui fais confiance, faîtes en de même. »

Le gardien me lança à nouveau ce regard noir mais suivit mes ordres. Ce regard, je n'en avais que faire. Il n'était que mirage face à celui que j'avais vu. Chittaphon était les ténèbres pures.

Bilan :

Les sentiments de ce patient semblent se révéler de jours en jours, son état s'améliore et je suis heureuse pour lui. J'espère qu'à la prochaine séance, je pourrais lui enlever ses sangles.

Rapport n°10 T.clOù les histoires vivent. Découvrez maintenant