Je me réveille en pleine forme. Je regarde mon téléphone : 6h dumatin. Étant donné que j'ai dû m'endormir en fin d'après-midi, çafait plus de douze heures de sommeil. Pas étonnant que je me sentereposée. Je décide de m'habiller, ne voulant pas m'attarder au litplus longtemps. J'enfile un short en jean, un débardeur bordeau etun gros pull. Nous sommes en Septembre. Le temps se rafraîchit peu àpeu.
Dans la cuisine, une boule de poils noire et blanche se rue surmoi en gémissant. J'éclate de rire. Sa mâchoire bouge comme sielle essayait d'articuler. C'est peut-être le cas d'ailleurs, quisait ?
« Oui, Bryn, moi aussi je suis très contente de te voir.»
Je me baisse pour la caresser. Elle en profite pour me sauterdessus et me laver la figure.
« Aaaaah ! Mais c'est dégueu !»
La chienne s'assoit et me regarde, attendant je ne sais quoi.Ses grandes oreilles sont dressées, attentives, et sa queue remuefurieusement derrière elle. Un rire clair résonne depuis lacuisine.
« Je vois que tu t'es fait avoir. »
Je me tournevers ma grand-mère. Elle apporte une brioche, qu'elle pose sur latable avant de revenir avec une théière et deux bols.
« - Oui,pas qu'un peu !
- La technique c'est de ne jamais tebaisser. Tu veux déjeuner ? »
Mon estomac répond à ma place,ce qui la fait sourire. Nous mangeons en silence. Ce silence reposantsemble faire partie du quotidien de ma grand-mère. Léger. Calme. Etpourtant chargé de sagesse. Car oui, pour moi, ma grand-mère estune personne sage. Cette même impression émanait de mon père, maiselle était teintée de tristesse, de quelque chose de lourd. Elle,au contraire, est éblouissante.« Tu vas mieux, au fait ? »
Nous sommes en train dedébarrasser. Je secoue le filtre de la théière dans le bac réservéau composte.
« Mieux, oui. »
Bien serait un grand mot. Untrop grand progrès. Et, aussi loin que je me souvienne, je n'aijamais été bien. Enfin, j'ai déjà souris, eu des moments fugacesoù je me sentais en phase avec ce qui m'entourait... mais êtreheureuse, pour moi, ne se résume pas à cela. Non, c'est... bienplus profond, bien plus intense. C'est une sensation qui nousenvahit, presque au point de nous faire étouffer, si puissante qu'onvoudrait la hurler sur tous les toîts. C'est un bien-être absolu,l'impression d'être relié à tout ce qui vit, et tout ce qui ne vitpas. C'est ça le bonheur. Et je ne l'avais jamais éprouvé. Monpère disait souvent : « Le jour ooù la neige tomberaàl'envers et que les poissons volants feront du surf dans l'écumedes nuages, on saura ce qu'est le bonheur. »Ily avait toujours une sorte de retenue, discrète, maisinfranchissable. Un voile qui empêchait mes émotions de s'exprimerpleinement.« Veux-tu apprendre à gérer ton empathie ? »
Je sursaute.Je m'étais perdue dans mes pensées. La voix de ma grand-mère meramène à la réalité. Je réfléchis. Je n'ai rien de prévu ceweek-end. Et puis, j'en ai assez de pleurer tout le temps. Je hochela tête.
« Vas mettre un pantalon et des chaussures, on seretrouve dans le potager. »Je remonte rapidement, et fais ce qu'elle a demandé. Le potagerest une partie du jardin que je n'ai pas encore explorée. Je suiscurieuse. Je sors et hume l'air matinal. Le goût et l'odeur du selme manquent un peu, mais je savoure l'humidité de la rosée,disparaissant peu à peu, remplacée par les rayons du soleil, encoredoux à cette heure. Bryn trotte à côté de moi, heureuse deprofiter de ce début de matinée. Les chèvres ne sont pas encoresorties. Cela ne saurait tarder. Je pense.
Le potager est assezgrand, enfin, comparé à celui que nous avions en Bretagne.Étonnamment, les fruits et légumes ne sont pas plantés en rangées.Ils poussent, çà et là, comme n'importe quelle plante sauvage,créant une harmonie hétéroclite et charmante. Une tonnelle devigne recouvre certaines plantes, sûrement celles qui ont besoin demoins de lumière. Au centre, une fontaine, reliée à l'étang,diffuse de l'eau en continu dans des canaux creusés dans la terre.Tout est fait pour le confort des végétaux.
Ma grand-mèreémerge de la tonnelle et me sourit.
« Comme il fait plutôtfrais, on va se mettre au soleil. Place-toi au centre, près de lafontaine. »
J'obéis, un peu intriguée. Je ne sais pas vraimentà quoi m'attendre. J'ai une pensée émue pour mon jean propre.J'effleure le sol de mes mains et frissonne au contact de la terrehumide. Je n'aime pas l'humidité. Ça me répugne. Et puis, ça doitgrouiller d'insectes. J'ai horreur des insectes. Trop nombreux. Troppetits. Trop de pattes.
« - Mets-toi en tailleur, pose les mainssur tes genoux.
- En quoi ce que nous sommes en trainde faire va-t-il me servir ? Et qu'est-ce qu'on fait ? »
Je lasens sourire derrière mes paupières closes.
« - Ce que nousallons faire est un simple exercice de respiration. Cela va te servirà puiser de l'énergie dans ton environnement, et à prendre de ladistance pour ne pas te laisser envahir.
- De quoi?
- Comme je te l'ai dit, les personnes empathiquesont tendance à se mettre à la place des autres. Cet effort que tufais sans t'en rendre compte demande une énergie importante. Deplus, tu te fais envahir par les émotions des autres, ce qui estépuisant, car l'être humain n'est pas fait pour gérer le ressentide deux personnes. Il faut donc être capable de faire la différenceentre ce qui est à toi, et ce qui est à l'autre, donc prendre durecul. Il te faut aussi te ressourcer, pour éviter les états defaiblesse comme celui d'hier. »
Je hoche la tête, peuconvaincue.
« - Je dois faire quoi ?
- Ferme lesyeux, inspire et expire lentement. »
Je m'exécute. Je n'aijamais cru à ces trucs de méditation ou autre. Mais si elle penseque ça peut m'aider...
« Tu dois remplir tes poumons aumaximum, gonfler ton ventre. Prends ton temps. »
J'ai du mal. Jene respire pas en gonflant mon ventre, mais en remontant mondiaphragme. Mon médecin me l'avait déjà fait remarquer. J'essaietout de même, même si j'ai horreur de ça.
« Prends le temps dete concentrer sur ta respiration. Quand tu penses avoir trouvé tonrythme, essaie de ressentir ton environnement. »
Comment ça ?Je ne sais pas trop comment faire ce qu'elle me demande. J'écoute lechant des oiseaux, le bruissement de la brise dans les feuilles desarbres... Mais ça ne me fait pas grand chose. Ça ne m'apaise pas,en tout cas. Je soupire, agacée.
« Prends ton temps. C'est unexercice difficile. »
Facile à dire...
Je tente unenouvelle fois de me concentrer. Une longue inspiration. Gonfler leventre. Une longue expiration. Vider le ventre. Plusieurs fois. Maisrien ne se passe. Nouveau soupire.
« Je suis certaine que tu vasy arriver, sois plus indulgente avec toi-même, je ne te demande pasd'y arriver du premier coup. »
J'essaie une dernière fois,toujours sans succès. À part un léger mal de ventre, je ne ressensrien.
« Bon, ça suffit. Je n'ai pas envie d'y passer la journée.»
Je me lève et rentre dans la maison à grands pas rageurs. Magrand-mère ne fait rien pour me retenir.
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Le jour où la neige tombera à l'envers (En Pause)
Fiksi Remaja«-Papa, c'est quand qu'on sera toujours heureux ? - Le jour où la neige tombera à l'envers et que les poissons volants feront du surf dans l'écume des nuages, ma chérie -Et c'est bientôt ? - Très bientôt, Lana. Très bientôt.» Cette dis...