Il était plus de minuit. Helen était debout depuis pas loin de deux heures, maintenant. En comptant l'enlèvement, la course folle menée par Karl pour atteindre le meilleur service d'urgence qu'il connaissait, le CHU de Créteil, puis le temps d'attente, Jean-Marc estima qu'on allait dépasser les trois heures sans que l'intendante se soit accordé un seul instant de repos.
Karl l'avait compris lui aussi et décida d'aborder le sujet avec une de ses ruses préférées. Il revint de la cafétéria avec trois cafés, qu'il avait pris soin de charger d'une partie du contenu de sa flasque personnelle de schnaps. Il en tendit un à la suédoise qui attendait toujours, immobile et statuaire, devant la porte du service de radiologie.
— Café chargé. Tu en as besoin.
Helen renifla le breuvage qu'on prétendait, selon elle avec beaucoup d'imagination, être du café. Le parfum du spiritueux chatouilla de suite ses narines et elle en avala une première gorgée prudemment. Karl n'y avait pas vraiment été de mainmorte, mais cela lui fit du bien.
— T'aurais dû aller te faire soigner, toi aussi. C'était pas anodin, ce soir.
— Une main blessée et un orteil tordu. Rien de grave et je considère l'avoir amplement cherché, Karl. Ne vous inquiétez pas pour moi, inquiétez-vous pour elle.
Jean-Marc, assis dans un des sièges du couloir, au confort discutable, attrapa le café tendu par son époux avec un sourire qu'il réservait à lui seul, avant de poser la question la plus évidente par laquelle commencer :
— Au fait, ton amie, qui est-ce ?
Helen esquissa un très bref sourire qui disparut immédiatement sur son visage grave. Elle devinait tous les sous-entendus derrière cette simple question.
— Elle s'appelle Calliopé Meliochev. C'est la fille d'une vieille amie décédée, qui m'a fait promettre de veiller sur elle. Une tâche à laquelle il apparait que je viens d'échouer, n'est-ce pas ?
L'explication était claire, mais moins amusante que l'aurait espéré le duo, qui s'attendait à de savoureuses révélations romantiques et éventuellement sexuelles ; après tout, avec Helen, c'était un sujet on ne pouvait plus coloré quand elle l'abordait. Karl décida cependant qu'il serait de bon ton de secouer un peu la Suédoise, à défaut de la distraire ; Jean-Marc pensait exactement la même chose, mais se fit damer le pion :
— Échouer ? Ach Gott, si tu appelles ça échouer, alors on a été nuls, ma vieille ! Elle a été blessée et on a dû la conduire à l'hosto, soit. Mais ces types en avaient après elle, au moins voire plus qu'après toi, de ce qu'on a vu ; et j'ai aucun doute qu'ils étaient pas du genre galant. Je te fais la liste de ce qu'elle aurait subi sans notre intervention ou tu imagines toute seule ?
Helen, toujours debout, une main appuyée sur sa canne, ce qui soulageait son pied, l'autre tenant son café au schnaps, finis par opiner de la tête :
— Vous avez raison, en effet ; j'apprécie votre sagesse qui ne mâche jamais ses mots. Mais la responsabilité de son état me revient toujours et je vais devoir en assumer la culpabilité.
Jean-Marc insista :
— Oublie ça, Helen. Oui, tu es responsable, oui, c'est donc comme ta filleule et une promesse est une promesse. Mais tu l'as tenue. Et si cela peut te déculpabiliser, je t'enverrai la facture des frais de notre intervention. Surtout que dans quelques heures, on va devoir assurer quelques autres frais de justice.
Le vétéran, vieilli par ses lunettes qu'il avait replacées sur son nez pour profiter –vainement vu leur contenu- des revues à disposition dans le couloir, prit le temps d'une pause pour avaler une gorgée de café avant de reprendre :
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Héritages, livre 1
Science FictionLa Troisième Guerre Mondiale n'a jamais eu lieu. Et personne ne le sait. L'arbre-Monde d'Erdorin s'est éteint et l'humanité poursuit sa vie mouvementée sur son bout de planète bleue sans savoir qu'autour d'elle, il y a des centaines de mondes hab...