12- En fuite, partie 2

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Le petit chaton blanc ne portait toujours pas de nom. Notez que ce n'était de toute évidence pas très important ; il était le premier à s'en ficher royalement. Quand il en aurait un, il s'en désintéressait avec ce mépris savamment entretenu que tous les chats affichent à ces étranges coutumes, suivies par les humains pour se persuader que leur félin domestique leur appartient.

Pour l'heure, ce qui l'intriguait, c'était l'agitation ambiante. Jusqu'ici, il dormait en squattant le sac à dos odorant de Calliopé, qui avait cédé, sans tellement se faire prier, à laisser son adorable boule de poil en faire sa couche. Mais, décidément, ça bougeait bien trop autour de lui et, à sa hauteur de chaton, le plus amusant, c'était de voir passer des pieds chaussés et des lacets. Il se mit donc en devoir de courir après les petits trucs qui s'agitaient le long de la première paire de pieds accessibles, avec toute la maladresse d'un chaton sevré depuis peu. De toute évidence, il n'avait pas encore bien lu le manuel d'utilisation des papattes.

Environ un mètre soixante-dix-huit au-dessus, l'inspecteur Duperez baissa la tête d'un air perplexe, réalisant que, sorti de nulle part, il se faisait agresser la basket gauche par une petite boule de poils blanche. Et, suivant l'exemple de l'immense majorité des homo sapiens, il en fut attendri et oublia, pour un bref instant, l'étendue des ennuis qu'il était en train d'entasser en un temps record sur ses épaules. S'il terminait sa carrière de police quelque part au fin fond d'un bureau perdu sur Saint-Pierre-et-Miquelon, il pourrait s'estimer encore chanceux.

Helen s'activait, avec une rigueur et une efficacité qui n'appartenaient qu'à elle et qui eurent suscité la jalousie d'un commando en préparation de paquetage, à boucler une valise à sangle et un sac de voyage, s'assurant de ne rien oublier d'essentiel pour un départ en urgence. À vrai dire, c'est bel et bien avec les Bérets Verts, au Vietnam, qu'elle avait perfectionné l'art d'être toujours prête à décamper avec tout le nécessaire déjà disponible sous la main ; elle ne faisait que répéter ici quelque chose de presque coutumier, bien qu'elle se serait passé de devoir encore une fois réitérer l'exercice en conditions réelles.

Calliopé était moins organisée et par nature autrement plus bordélique, ce qui se devinait rien qu'à l'entendre cavaler à l'étage au-dessus, dans la chambre d'amis, tandis qu'elle réunissait ses affaires. Mais elle compensait sa tendance naturelle au désordre par la double qualité d'être une baroudeuse largement formée à l'exercice et, pour la même raison, de toujours voyager léger. Duperez, qui consultait nerveusement sa vieille montre mécanique, en éprouva un certain soulagement. À ce rythme, ce serait décollage dans les cinq minutes et, le temps de marcher un peu et aller trouver un taxi dans le chaos routier de Paris, les deux donzelles seraient hors d'atteinte du BRI. Restait à savoir comment s'y prendraient-elles pour le rester pour un temps raisonnable, le temps que leur innocente évidente saute aux yeux de tout le monde.

— Dites, madame Johanssen, vous avez quelque part où vous mettre au frais un moment ? demanda l'inspecteur tandis que la Suédoise, tirée à quatre épingles en un temps de toilette record, posait ses bagages à l'entrée.

— Ne vous en préoccupez pas trop, répondit-elle, alors qu'elle levait la tête, surprise de ne plus entendre les pas effrénés de son amie à l'étage supérieur. J'ai quelques moyens de repli confortables et je serai encline à penser que dans votre situation, moins vous en savez sur eux, plus vous serez à l'aise quand vous devrez répondre à des questions fâcheuses.

— Je m'en doutais un peu. De vos moyens et de votre réponse. Je dois dire que cela m'arrange, car, en effet, je m'attire quelques problèmes à vous aider. Mais je n'aime pas l'idée de vous laisser vous fourrer dans des problèmes plus vastes encore alors que vous n'avez rien fait.

Héritages, livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant