Monsieur Adorable-Pandoriia

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Ben,

Je n'écris pas cette lettre pour te dire quoique ce soit de romantique, ou t'avouer quelque chose dans ce genre, tu peux te détendre, ne t'inquiète pas. En fait, j'aurais aimé que ce soit une lettre pour notre classe, et non directement pour toi. Mais tu m'as semblé être celui qui jugerait le moins ce que je vais t'écrire, alors je t'ai choisi comme destinataire.

J'aimais bien cette classe, Ben. Toi aussi, je suppose. Mais voyons les choses en face : nous avons une classe entière d'hypocrites parlant sur le dos de tous les autres. Ils parlent et gâchent leur salive, juste pour enfoncer quelqu'un dans une tristesse profonde, ils parlent, pour faire souffrir. Comment aimer de telles personnes ? Je ne les aime pas.

Enfin, il y a exception à toutes règles. Et tu es un peu cette exception. Après la course contre la faim, je t'ai surnommé «Monsieur Adorable». Tu dois te dire que c'est enfantin. Mais c'est comme ça que je l'ai pensé.

Tu étais épuisé, respirant avec peine, mais tu voulais continuer, bien que tu n'aies aucun parrain. J'étais inquiète. Très inquiète. Tu n'avais vraiment pas l'air bien, et je me souviens de chaque détail de ce moment où tu t'es arrêté, et que nous t'avons forcé à t'asseoir. Tes épaules se levaient difficilement, essayant de suivre ta respiration saccadée, et ta volonté. Ta respiration sifflait, comme une alarme, comme un appel à l'aide. Tes joues étaient rouges, camouflant tes tâches de rousseurs. Tes yeux gorgés de sang, dû à ton épuisement. Je n'étais pas la seule inquiète, mais je sais que je l'étais, énormément.

Le soir-même, je t'ai envoyé un message, te conseillant de boire, manger, et te reposer un maximum, et toi, même épuisé, même au bord du malaise, tu m'as souhaité une bonne préparation pour l'oral du lendemain. C'est idiot, mais c'est à ce moment-là que j'ai compris que tu étais l'exception de notre classe d'imbéciles. Malgré mon désir de devenir ton amie, je n'ai pas pu m'empêcher de m'éloigner quand même.

Pourquoi ? J'ai énormément de choses à cacher.

Et c'est le moment où, si tu me lis, j'espère que tu ne jugeras pas, malgré tous les horribles aveux que je vais te faire. Je vais commencer par quelque chose de simple : les sentiments. Je n'ai jamais été capable de contrôler mon ressenti face à chaque situation. Hésitant entre colère et déception, voyageant entre tristesse et vide. Je n'ai jamais su comment rester quelqu'un. Quelqu'un que j'aimerais être. Pourtant, quand je suis avec des personnes que j'apprécie, toi, Romain, Eloïse, Julie, Ysoline par exemple, je me sens... normale. Je me dis que je n'ai pas besoins de contrôler mes émotions, parce que j'espère que vous me connaissez. Chose un peu plus compliquée : la manipulation.

Je t'imagine lire cette lettre, et lire ce mot, puis te poser un nombre incalculable de questions. Manipuler est une mauvaise habitude que j'aie prise, venant d'une époque horrible pour moi, mais j'y reviendrais plus tard. Je disais, la manipulation est une mauvaise habitude que j'ai prise. Je vais être sincère, je dois être sincère. Je ne manipule jamais les gens que j'aime, ne serait-ce qu'un petit peu. Etre gentille avec tout le monde, sans insulter ceux qui le mérite, c'est vraiment dur, mais c'est utile, pour qu'on te laisse tranquille, et avoir une bonne impression, histoire que je sois tranquille, que personne ne vienne me chercher. Manipuler est indispensable à la survie. Mais je me désole d'avoir à le cacher, surtout des gens que j'aime. Tu sais, les deux choses énoncées, je les trouve simples, mais ça ne doit pas être le cas de tout le monde, et dans ce cas, sache que ce que je vais te dire maintenant est vraiment très personnel. Que j'accepte de te l'avouer, même à l'écrit, relève de l'exploit. Alors lis, lis sans jugement, je t'en supplie. C'est la seule chose que je te demande, Ben.

Fin sixième, jusqu'à mi-quatrième, j'ai fait une dépression.

J'étais ce genre de personnes préférant être mal accompagnée que seule. Et je me suis retrouvée avec un gars, que j'appréciais, mais n'aimais pas. Et ce couple s'est brisé notamment parce que je suis réellement tombée amoureuse de quelqu'un ; une fille. Je suis tombée amoureuse d'Anaïs. Et j'en souffrais, parce que je savais que mon copain n'accepterait jamais que je m'avoue bisexuelle. Mais j'ai fini par craquer et je lui ai tout dit. Nous nous sommes quittés là-dessus. Et dire que cela faisait presque six mois que je m'étais rendue compte que j'aimais Anaïs... J'ai vraiment été longue à la détente.

Puis, après de nombreux problèmes, et une soirée à pleurer, pesant le pour et le contre par rapport au fait de l'avouer à ma mère ou non. Et j'ai fini par avouer. Avouer car j'étais faible, que je ne voulais plus de toute les cicatrices que l'amour donne. Quand je me suis finalement mise en couple avec Anaïs, tu vas trouver ça débile, mais nous avons passé 2 mois de bonheur intense avant qu'elle arrête petit à petit de me parler, et qu'on devienne un de ces couples fantômes, étant ensemble juste sur le principe. Et devine quoi, Ben, je l'ai quittée, même si je l'aimais depuis autant de temps, je l'ai quittée, parce que ça me faisait mal. Et j'ai déprimé d'autant plus. Sur 1 an et demi de dépression, j'ai passé 2 mois de répit.

Et que m'a apporté ce répit ? Une cicatrisation. Il y a des cicatrices que personne ne doit voir. Et je sais que je ne pourrais pas te les montrer, mais elles sont bien visibles. Ce sont des cicatrices laissés par cette dépression. Tu te doutes déjà de ce que je vais dire je pense. Ces cicatrices, je me les suis moi-même infligées. Je pensais que je ne méritais que ça. Que de toute façon, personne ne pourrait me sauver, que le monde entier serait mieux sans moi. Mes parents n'auraient pas à payer mes études, mes amis n'auraient pas à m'écouter me plaindre, Anaïs n'aurait pas à souffrir à cause de moi.

Toutes ces pensées traversaient ma tête, chaque jour. Et c'est finalement arrivé. J'ai tracé un trait, puis deux. Et en un an et demi, j'ai dû arriver à 200 traits. Et cette année, j'allais mieux. Et tout est arrivé. L'alcoolisme de Papa, l'ultimatum que Maman lui a imposé, l'abandon d'Anaïs après que je sois revenue lui parler, en tant qu'amie, le stress du brevet, les questions sur mon avenir – en ai-je un ? Et le coup de foudre. Tout est arrivé, en même temps, et je n'ai pas pu le supporter. J'en suis à 202 traits.

Le compte est à nouveau relancé. Mais je ne dois pas montrer ces cicatrices. Je ne dois pas montrer à quel point je vais mal. Je ne dois plus rien montrer, pour « survivre », pour croire que je peux vivre à nouveau. Je ne t'ai pas écrit cette lettre pour me plaindre, ou te demander de l'aide. Non, je sais que tu ne saurais pas comment m'aider. Je voulais juste que tu le saches. Que tu saches réellement qui je suis, pour espérer qu'un jour tu me comprendras. Qu'un jour, nous pourrions devenir amis.

Même s'il nous reste que deux semaines et demie à passer ensemble. J'aimerais pouvoir me dire que j'ai été ton amie, monsieur Adorable.


Ode à l'humanité [Ouvert]Where stories live. Discover now