Chapitre 1

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J'ignorais ce qui m'avait réveillée. Le premier blizzard de l'année avait soufflé pendant la nuit, mais les bourrasques s'étaient à présent calmées. A l'image de cette grande maison, ma chambre était silencieuse. Cela faisait une bonne heure que je contemplais le plafond, allongée sur le dos. Combien de temps mettraient les services sociaux à m'emmener dans une famille d'accueil? Tout ce que je savais, c'était que le sommeil me rejetais depuis sa mort. J'étais comme droguée, asphyxiée d'une vie sans couleur. Ce matin là, comme tous les autres, j'attendis que le réveil sonne, me tirant d'un état de semi-repos. J'allumais la lumière et contemplai mon reflet. A l'image de ma vie, ce qui se reflétais dans le miroir faisait peine à voir. Des cernes bleutés coloraient mon teint pâle comme un zombi. Mes yeux verts fades, sans expression, ni vie, fixaient une image fantomatique. Mes cheveux blonds, si clairs qu'on pourrait les confondre avec du blanc, attachés en une tresse emmêlée qui me tombait dans le dos, ainsi que mes joues de bébé qui m'avaient valu autrefois des moqueries. J'esquissai un sourire triste. Maintenant qu'elle m'avait quittée, les gens ne se moquaient plus de mes vêtements sans couleur qui camouflaient mes formes, de mon étrange goût pour la solitude et puis, du manque de maquillage dont je me servais. Ils ne se moquaient plus parce qu'ils avaient pitié. Pitié de la "pauvre fille" qui avait d'abord perdu ses parents si tôt qu'elle ne s'en souvenait même plus, puis qui avait perdu sa grand-mère, la dernière personne de sa famille encore en vie, et la seule qui avait jamais vraiment compté. Deux mois s'étaient écoulés, et je ne pleurais plus. Peut-être ai-je vidé le réservoir ou peut-être qu'à force d'avoir trop pleuré on y arrive plus. J'avais d'abord été si triste que me lever du lit n'était plus une option. Je ne faisais que dormir et ne me réveillais que pour expulser de mon corps des flots de larmes. Et puis, du jour au lendemain, le sommeil m'avait quitté et je ne pleurais plus. Il n'y avait que ce vide sans fin qui empoignait mon cœur. Du jour au lendemain, sans prévenir personne, je suis retournée en cour, pour remplir mes journées devenues si vides. Ça n'avait aucun sens au début. Tout le monde m'évitais, pire qu'avant, maintenant je faisais peine à voir.

Et comme d'habitude, à force de trop penser je me mis en retard. J'arrivais en plein milieu du cours, tout le monde était déjà assis et écoutais le prof de français. On me lança quelques regards furtifs, mais personne n'osa me défier du regard, peut-être de peur de finir comme moi. Seule une personne me fixai comme s'il ne me connaissais pas. Du fond de la classe, un type que je n'avais jamais vu arborait ma place. Des yeux noirs comme la nuit me contemplaient. Quelques boucles de ses cheveux noirs de jais tombaient sur son visage, d'une peau matte, dont on pouvait voir la perfection, même de si loin. De loin je sentais son regard inexpressif posé sur moi comme un défi, comme s'il attendait de voir qui j'étais.

-Eléonor, asseyez-vous donc ! Lança cet imbécile de prof. Il ne reste qu'une place au fond !

Et je m'approchais donc de la seule place libre, à côté de l'inconnu. En me rapprochant, ses traits furent plus nets. Ses pommettes plus dessinées, ses joues plus creusées, ses cils plus longs et plus charbonneux qu'une seconde auparavant. Sa touffe semblait indomptable. Je me dis que, woaw, je n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi beau. Je sentais son regard posé sur moi me bruler les joues. Les garçons n'avaient jamais été ma tasse de thé. Quand ils ne se moquaient pas de moi, je les faisaient fuir volontairement. Ce que j'entrepris de faire à la seconde même ou je me tournai vers lui pour affronter son regard. Il n'avait toujours pas bougé.

-Tu veux quoi? Ma photo? Dis-je d'un ton nauséabond.

Il sourit froidement, et je découvrit de magnifiques lèvres pulpeuses. Pourquoi devaient-elle me refroidir autant?

-Je regardais tes cernes. Tu as l'air de sortir tout droit d'un film d'horreur, dit-il d'une voix grave qui m'irritais déjà.

-Fais gaffe, je mors, répliquai-je, glaciale.

Il détourna le regard, fixant le tableau, comme ennuyé de ma réplique. Je le détestais déjà, d'autant plus qu'il sentais merveilleusement bon. Un délicieux mélange de menthe et d'un autre truc non identifié qui le rendait irrésistible. Je me risquait à jeter un coup d'œil. Il portait un sweat à capuche noir, un jean troué sur les genoux et des doc martens noires, abimées par le temps. Je me tordis le cou pour les voir et il le remarqua mais ne broncha pas. Je jetai un coup d'œil à ses yeux, essayant d'y déceler quelque chose. Cela faisait longtemps que je n'avait pas été intéressée comme ça par quelque chose (ou quelqu'un). C'était bizarre et ça me perturbais. Je me perdis un instant dans mes pensées en contemplant son visage. Ses cheveux, ses yeux, ses joues... Tout était normal. Et pourtant, je ressentais quelque chose d'étrange en étant assise là, à côté de lui. Quelque chose d'inhabituel.

-Tu veux ma photo? Dit-il sans détourner le regard du tableau, sans même me regarder.

-Copieur, murmurai-je.

-Je sais que je suis irrésistible mais je ne ressens pas la même chose pour toi, dit-il encore une fois sans me regarder. Me traiter de copieur ne résout rien.

Cette fois je su pourquoi il me perturbait. Il m'énervais tellement que j'avais envie de le gifler. Le pire était qu'il avait tapé dans le mile. Irrésistible. Comment avait-il su?

-Tu n'es pas irrésistible, mentis-je. Tu fais pitié à te croire supérieur aux autres.

Il rit froidement mais ne répondit pas. J'eus envie de lui prendre la tête et de lui éclater sur la table. Le reste de l'heure se déroula dans une atmosphère glaciale. Lorsque la sonnerie retentit, annonçant la fin de l'heure, il me bouscula avant que je n'ai eu le temps de me lever. Il me lança un regard mauvais, comme si j'avais menacé de tuer toute sa famille. C'est à ce moment là que je remarquai que toutes les filles le regardaient, certaines la bouche ouverte. Si j'avais pu lire dans leur pensées... Non, dieu merci, je ne pouvais pas. Une foule entière suivait au pas le mystérieux brun, qui fuyait la bande. Moi, je m'éloignais de tout ce bruit. J'allais au fond de la cour, dégainait mon livre du moment et passa le temps à tourner des pages et me nourrir de leur contenu. J'avais toujours adoré m'enfermer dans la vie des autres, j'avais l'impression de n'être pas si ennuyante que ça.

Je ne me détachai de mes précieuses pages seulement lorsque tout le monde retournait dans leur salles respectives. Je me levai doucement, rangeai mon livre dans mon sac, et c'est là que je les vus. Collés l'un à l'autre, Cassidy Blackburn et l'imbécile de tout à l'heure se tripotaient dans un coin de la cour. J'eus envie de vomir mes tripes quand j'entendis quelques mots cochons lancés entre deux baisés mouillés. Les cheveux blonds vénitiens de Cassidy lui retombaient dans le dos, délicatement coiffés, son joli visage collé à celui du brun, les yeux fermés. Pendant que je les dépassai, je ressenti une pointe d'amertume. J'aurai adoré être aussi jolie que Cassidy, j'en soufflait de jalousie. Mais j'avais hérité de quelque chose qu'elle n'avait pas eu à la naissance. Un cerveau. Malgré sa beauté, le succès qu'elle rencontrait se limitait au physique. Derrière la barrière de celui-ci, elle n'était rien. Qu'une suiveuse, faisant exactement ce que les autres voulaient qu'elle fasse. Je ne serais jamais comme ça. A commencer par ne jamais rouler des pelles à un inconnu si énervant, un inconnu de qui je ne connaissait même pas le nom.






La prophétie du vieux sageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant