Pour commencer, je vous propose de faire la connaissance de Bandore Cahin, une sorcière avec qui on ne sait pas très bien sur quel pied danser...
Comme le disent assez bien les pierres qui roulent :
So if you meet me
Have some courtesy
Have some sympathy, and some taste
(Woo woo)
Use all your well-learned politesse
Or I'll lay your soul to waste, mm yeah
(Woo woo, woo woo)Rolling Stones
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Filature de Magie
Royaume d'Abynören
766 ans avant l'Ultime Ravage
Six fois déjà sa trompette a sonné
Sa colère s'est réveillée
Son étoile s'est éteinte
Et il a été renvoyé dans la ténèbre.
Mais la septième ?
PROPHÉTIE D'ANKALAN
La peur est un serpent qui se mord la queue. Sa tête est un mensonge, sa queue une vérité, et sans fin l'un mange l'autre. Voilà tout.
La plupart des visiteurs qui rendent visite à Bandore, ici, à la Filature de Magie, jurent sur les Lunes que sa cécité n'est rien d'autre qu'une ruse. C'est, disent-ils, un de ces artifices dont sont coutumiers les magiciens. Toutes ces infirmités - dysmorphie, pieds bots, balafres, arthrites, surdité, paralysie, et parfois l'abominable lèpre noire elle-même - ne servent qu'à cacher leurs véritables pouvoirs. Et même s'ils écartent ces rumeurs d'un revers de la main en haussant les épaules, il ne faut pas s'y tromper : les tisseurs défient la maladie grâce à leurs sorts anciens.
Peu importe au fond que la magie d'aujourd'hui n'ait plus la splendeur d'avant le Grand Ravage, elle a encore de beaux restes. Elle peut vous couper en deux sans que vous ayez le temps de dire ouf, vous faire cracher vos boyaux en dansant le quadrille, vous faire pousser une queue à la place du nez et plus facilement encore, faire de vous un puissant sous l'apparence d'un faible. On n'est jamais trop prudents : voilà donc ce que murmurent entre leurs dents les étrangers en franchissant les grandes portes sculptées de la salle d'honneur. Et tout en approchant - lentement, aussi lentement que possible - du trône de la plus grande des magiciennes, ils cachent leurs mains sous les mantes de leurs habits. Ils baissent les yeux et pressent l'une contre l'autre leurs paumes jusqu'à en avoir mal, s'efforçant de soustraire au regard de Bandore les lignes de leur destin, trop effrayés qu'elle puisse les déformer d'un battement de cils et qu'elle y dessine en riant le visage de la mort.
Retenant leur respiration, craignant qu'à tout instant les gorgones de pierre qui planent au-dessus de leurs têtes ne se décrochent du plafond et viennent leur becqueter le coeur ils cherchent des yeux les signes bleus du Ravage - ces prémices à la démence et au chaos dont parlent encore les vieilles chansons - jusque dans les moindres recoins de la salle... Et tandis qu'ils avancent à petits pas, leur imagination fait le reste.
Depuis les douves les voix de créatures mortes et enterrées hurlent leurs noms. Les flammes qui pulsent dans les braseros d'or crachent des êtres aux yeux de démons, aux griffes noires, aux dents fourchues avides de sang.
Oui. Il y a une éternité que l'on n'a plus vu de telles abominations, mais pourquoi pas ? Après tout, Bandore Cahin est l'héritière des Da¨mons, les redoutables sorciers des temps anciens. Les Lunes elles-mêmes pourraient se lover dans les doigts de la Maîtresse Tisserande pour ravager le monde : ils ne voient aucune limite à son terrifiant pouvoir.
Pourtant, lorsque les nouveaux venus, arrivés au milieu de la salle, finissent par relever la tête et contemplent la magicienne pour la première fois, c'est toujours la surprise qui se lit sur leurs visages.
C'est vrai que lorsque les pupilles de Bandore les fixent, immobiles lunules ivoirines, la crainte s'empare d'eux. Oui, c'est vrai. Et personne ne peut les en blâmer. Mais leur malaise se dissipe tout aussitôt, et l'étonnement le remplace.
Car c'est un spectacle à l'inverse de tout ce qu'ils ont imaginé qu'ils découvrent.
Perdue dans les méandres de l'immense siège de cristal se tient une jeune femme délicate, au teint lumineux : une beauté. Des cheveux en pagaille encadrent un visage qui - sans les deux trous qui le déchirent là où devraient se trouver les yeux - serait à se damner. Des lèvres gourmandes répondent à deux lobes délicats et, jusqu'à ses seins couverts d'une tunique de gaze blanche, toute sa peau noire se tend, sans une ride, aussi mate et parfaite qu'un duvet de lapereau. Sa gorge dessine un delta brillant, ses bras des embranchements volubiles, de longs cheveux souplement crépus cascadent pour rejoindre le lit de son dos. Deux veines bleues palpitent doucement dans le creux de son cou, si ravissantes, si fascinantes, que rien qu'en les regardant battre, on a l'impression de voir cogner son propre pouls après l'amour.
Sanglée haut sur son ventre, une tunique moule ses cuisses jusqu'aux mollets, cessant de tomber là où s'entrelacent des tatouages encore plus sombres que sa peau.
Lorsque les étrangers ne sont plus qu'à un jet de pierre de son trône, Bandore tend vers eux ses deux paumes ouvertes sur lesquelles aucun sillon ne court. Ses doigts s'ouvrent avec la grâce d'une corolle de pivoine et la magicienne leur adresse un sourire presque aussi large que les arches qui dominent leurs têtes. Ses dents, blanches comme des amandes sans peau rendent la lumière du soleil pâle et monotone. Le relent de son souffle leur parvient, chargé d'embruns et de douceur, leur donnant faim de plaisir et d'apaisement.
Alors la stupéfaction arrache un hoquet aux visiteurs, et ils se laissent tomber à terre, convaincus que la magie ne peut rien produire d'autre qu'une splendide bonté.
L'ignorance. Voilà ce qui perdra les hommes.
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L'Ordre Terne - La Prophétie des Sables -
FantasyPour sauver le Monde, il arrive que l'on doive tout simplement mourir. Seulement parfois, celui qui doit se sacrifier refuse de le faire... Envoyé par les Lunes pour se venger des hommes qui les ont défiées et trahies huit cents ans plus tôt, un jeu...