L'inquiétante magicienne est agitée. Une tâche l'attend qu'elle n'a visiblement pas hâte de remplir. Laquelle ? Hum, eh bien on ne va pas tarder à le découvrir.
Bonne lecture !
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Bandore était inquiète.
Bientôt il serait temps et elle ne se sentait pas prête.Non. Pas prête du tout.
La Maîtresse Tisserande se dandina sur son trône. Combien étaient-ils à ses côtés dans la salle d'honneur ? Soixante ? Quatre-vingt ? Cent, au moins... Si l'on comptait la quarantaine de gardes accrochés à leurs lances, les commis attendant qu'on les missionne, les esclaves disséminés dans les ornières d'ombres de la salle, remplissant la bouche avide des braseros, surveillant les portes, ou occupés seulement à compter le motif des tapis, une centaine de pantins lui tenaient compagnie sans entamer d'un pouce cette exaspérante solitude.
- Quelle heure est-il ? demanda-t-elle sans élever la voix.
En réponse à sa question, un murmure désordonné parcourut la salle. Les regards fusèrent, rebondissant de visage en visage, pour finir par se figer sur les douze gamins enturbannés qui tenaient à la main des lanières de cuir. A l'extrémité des cordons, des sabliers d'argent mesurant deux fois la taille des gamins dévidaient leur grain rouge en chuintant souplement.
-Toi, dit Bandore en pointant le plus chétif des esclaves.
- Ci...cin...Cinq heures et douze minutes Maîtresse, répondit l'enfant, les yeux écarquillés.
De ses doigts graciles, fins comme des tiges de prêle, Bandore pinça ses paupières. Sous la peau, une fausse lumière gicla dans les ténèbres, donnant un instant l'illusion que ses organes étaient vivants. Il y eut comme un écho terne dans ses rétines, quelque chose de vague ressembla à quelque chose de plus vague encore, mais rien de plus. Ni contour, ni persistance.
La magicienne fit basculer la pulpe de ses index vers l'intérieur, crispa ses phalanges en un burin dont elle se martela l'os du front pour regretter aussitôt ce geste. De tels réflexes trahissaient sa nervosité et ce n'était vraiment pas le moment...
Non. Non, non... Pas le moment...
Mais par les Lunes, quel genre de créature ne se laisse pas gagner par la nervosité quand le sort du monde vacille entre ses mains ?
La Grande Nuit arrivait. Une apocalypse trépignait aux abords du crépuscule qui tombait, là-bas, aux pieds de la Citadelle. Une guerre perdue d'avance à côté de laquelle les horreurs indicibles du Grand Ravage n'avaient jamais été qu'une comptine pour enfants. Cette nuit la seule chance qui restait aux Cinq Royaumes de conjurer le désastre dépendait d'elle. Seulement d'elle.
Et de l'enfant...
Bandore éloigna d'un mouvement brusque ses doigts de son visage, les enchâssa dans les rainures froides de son trône et resserra dans ses mains le pommeau à tête d'animal de l'accoudoir. Entre ses phalanges on voyait briller les incrustations de calcite, d'opaline et de pierre de lune.
Des évidences se bousculaient sous son crâne, contradictoires et hostiles : l'enfant était une menace... ce n'était qu'un enfant... après lui en viendraient d'autres... les sacrifices ne suffiraient pas... demain elle serait pardonnée... tout était de sa faute... le prix était exorbitant... cela en valait la peine... il n'y avait plus rien à espérer...
On aurait dit une hydre à mille têtes cherchant chacune à parler. D'un claquement de mâchoires la magicienne la fit taire. Quelle que soit la façon dont se présentait le problème, la seule façon de le régler consistait à faire preuve de fermeté.
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L'Ordre Terne - La Prophétie des Sables -
FantasyPour sauver le Monde, il arrive que l'on doive tout simplement mourir. Seulement parfois, celui qui doit se sacrifier refuse de le faire... Envoyé par les Lunes pour se venger des hommes qui les ont défiées et trahies huit cents ans plus tôt, un jeu...