Liberté (2014)

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Un passion pour Tim Burton. Une fascination pour Frankenstein. Un brin de folie. Et voilà comment se crée une rencontre entre un monstre et un homme parfaitement banal. Le tout sur un goût de liberté.


     Elle tomba de la fenêtre avec un bruit sourd. Un de ses bras s'arracha dans sa chute. Tant pis. Elle le recoudrait plus tard. Au moins, elle était libre.Elle se leva et ramassa son membre de tissus avant d'aviser les alentours. La ville endormie était silencieuse, seulement bercée par le hululement des chouettes. Ce calme ambiant était en parfaite opposition avec le brouhaha quotidien qu'elle entendait depuis la fenêtre de sa cellule. Un chat miaula, elle sursauta. Même si ces instants de liberté nocturne lui avaient permis de se familiariser avec la ville, elle restait attentive au moindre petit bruit. Si les scientifiques la voyaient, elle en subirait les conséquences et elle savait qu'elle n'y survivrait sans doute pas. Mais elle avait besoin de cette liberté éphémère. Ainsi, elle oubliait ne serait-ce qu'un peu le calvaire et l'enfer qu'elle vivait chaque jour. Avec un dernier regard pour le manoir qu'elle venait de quitter, elles'éloigna. Elle ne savait pas où aller, elle suivait son instinct.Du moment qu'elle était le plus loin possible de la bâtisse scientifique qu'elle venait de quitter, ça lui allait. Il fallait seulement qu'elle soit rentrée avant l'aube. D'un petit saut gracieux, elle enjamba un ruisseau et s'assit sur un rocher, les jambes dans l'eau. Elle sortit d'un pan de sa robe en lambeaux une aiguille et une bobine de fil et commença à raccommoder son bras déchiré. La piqûre de l'aiguille la chatouillait. Ce picotement ne la dérangeait pas. Au contraire. Grâce à lui, elle se sentait vivante. Du moins, un peu plus que d'habitude. Un peu moins morte. Un peu moins monstrueuse. Un bruissement de feuille derrière elle la surprit. La panique la gagna. Que se passerait-il si quelqu'un la trouvait ici? Elle, qui n'appartenait plus au monde des humains depuis longtemps déjà? Elle serait, au mieux, tuée, au pire,ramenée au manoir. Non. Non, elle ne voulait pas y retourner. Pas tout de suite. Un lapin sortit d'un buisson, de l'autre côté du ruisseau. Elle soupira de soulagement. Ce n'était qu'un lapin. Juste un lapin. Rien de grave, n'est-ce pas? Alors, à qui appartenaient ces deux jambes élancées qui se tenaient devant elle? Les lapins n'étaient pas aussi grands, n'est-ce pas? Terrorisée, elle leva les yeux. Un homme. Devant elle se tenait un jeune homme à l'allure noble. Il la fixait, ou plutôt fixait son bras à moitié recousu de ses yeux étrangement gris. Brusquement, elle se leva et voulut partir en courant. Mais le jeune homme la retint par son bras tout juste retenu à son épaule par un mince fil de coton. Le membre céda et elle partit en courant, sans un regard de plus pour le jeune homme qui affichait un air stupéfait et tenait toujours le bras en tissus.Qu'avait-il vu? Tout. Absolument tout. Et s'il la rattrapait, que se passerait-il? Il la ramènerait à l'asile. Ou il la tuerait. Il ne fallait pas qu'elle s'arrête. Surtout pas. Sinon, elle courait à sa perte. Elle entendit des pas précipités dans son dos. Il la suivait. Elle accéléra. La terreur s'emparait d'elle petit à petit. Elle se prit les pieds dans une racine et tomba dans un bruit sourd. Aucune douleur. Juste de la peur. Une peur terrible. Elle se retourna en tremblant. Il était là, devant elle, essoufflé. Il tenait toujours son bras. Hésitant, il s'approcha d'elle. Elle recula, la cheville coincée sous la racine. Il s'accroupit face à elle. Elle frémit, les lèvres tremblotantes et le regard paniqué.Qu'allait-il se passer, à présent? C'était fini. Tous ses efforts  pour essayer de s'échapper de ce manoir dans lequel elle vivait l'enfer venaient de tomber à l'eau. Sa liberté éphémère venait d'être brisée comme on arracherait les ailes d'un papillon. Jamais elle ne verrait la lumière du jour autrement que depuis la fenêtre de sa cellule. Le jeune homme lui sourit nerveusement. Des larmes amères de frustration menaçaient de couler sur les joues de la malheureuse. Lorsque la première larme dévala sa joue presque grise, il la recueillit avec délicatesse. Elle leva alors ses yeux rouges vers lui et l'inconnu lui sourit une nouvelle fois. Elle ne comprenait pas. N'allait-il pas la livrer aux scientifiques? Son aspect ne trompait pourtant personne. Une fille mi-humaine, mi-poupée de chiffon, ça ne courait pas les rues. Alors, pourquoi? Embarrassé,il lui tendit son bras. Ce geste insolite aurait fait rire n'importe qui d'autre mais l'atmosphère ne s'y prêtait pas. L'un était gêné et nerveux tandis que l'autre était terrorisée et tremblait de tout son corps. Elle se saisit de son bras, du fil et de l'aiguille, puis commença à recoudre le membre de chiffon. Le jeune l'observa, la contempla, intrigué. Elle n'était pas bien vieille, dix-sept ans tout au plus. Il songea qu'elle était jolie, malgré son physique particulier. Ses longs cheveux rouges étaient parsemés de fils de laines de la même couleur et encadraient avec grâce son visage presque gris. D'un coup de dents, elle coupa le fil et fit un nœud.Elle glissa le fil sous les pans de sa robe et plaça l'aiguille dans ses cheveux. Puis elle le fixa. La terreur ne quittait pas son regard. Qu'allait-il lui faire, maintenant? Courir ne lui servirait à rien. Elle n'était pas assez rapide et il la rattraperait facilement. Autant rester ici, prête à encaisser la suite des évènements. Au fond, elle préférait qu'il la tue. La mort lui permettrait d'être libre à jamais et de sentir un peu moins monstrueuse. Et elle n'aurait plus à supporter le regard curieux qu'il lui lançait à cet instant. Que voulait-il? Qu'attendait-il?Peut-être qu'il n'était pas armé, après tout. Ou peut-être attendait-il simplement que son angoisse atteignît son summum pour la ramener au manoir ou l'achever. Elle baissa la tête, le désespoir la gagnant petit à petit.

Dans les Songes d'une EcosseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant