Le rire n'est pas toujours synonyme de joie et de bonheur. Je m'en suis rendue compte autour de mes 15/16 ans. Seulement, c'est un masque tellement efficace que peu de gens le remarquent et qu'il est difficile, voire impossible, de s'en débarrasser.
Elle riait, seule dans le noir. Sa robe déchirée au rouge délavé et ses longs cheveux d'ébènes aux mèches blanches étaient trempés par la pluie. Elle riait aux éclats, mais son rire sonnait faux. Beaucoup trop faux. Terriblement faux. Mais elle ne s'arrêtait pas de rire pour autant. Depuis combien d'années riait-elle, déjà?Elle avait oublié. Comme tout le reste, elle avait oublié pour moins souffrir. Pour ne plus souffrir. Ses pieds nus parés de bracelets d'ors eux-mêmes ornés de grelots étaient boueux et abîmés. Ses membres étaient écorchés, son corps tout entier était d'une maigreur irréelle, son dos présentait des marques au fer rouge et des coups de fouet. Mais elle n'en avait cure. Elle riait. Se noyer dans la démence pour oublier. Son rire cristallin se perdait dans la nuit sombre et silencieuse. Le masque de bronze sur son visage était figé dans un sourire sans émotions, cachant la véritable figure de la jeune fille. L'air froid lui piquait la peau et lui donnait la chair de poule mais elle se forçait à l'ignorer.Rire était pour elle le seul moyen de prouver son existence au monde. Un homme, masqué lui aussi, apparut derrière elle.
- Nox, dit-il, c'est l'heure du spectacle. Viens.
L'interpellée rit de plus belle.
- Oui! sourit-elle, Finnian, allons accueillir nos spectateurs!
Nox sautilla en direction du jeune homme, lui prit la main et l'entraîna à l'intérieur du chapiteau principal, toujours en riant.
Dans les loges, tous les membres du cirque s'activaient. Les couleurs, les froufrous, les plumes et les paillettes étaient au rendez-vous. Les costumes étaient somptueux, mais ce qui attirait le plus le regard,étaient les masques présents sur chacun des visages. Des masques de fer, de bronze, d'argent ou d'or tous plus souriant les uns que les autres. L'atmosphère des lieux était étrange. Elle n'était pas joviale comme elle aurait dû l'être mais plutôt mélancolique,malgré le brouhaha et la bonne humeur ambiants. Pareillement au rire de Nox, cette cacophonie semblait fausse, presque forcée. La jeune fille se précipita vers le lourd rideau de velours rouge et en souleva légèrement les pans pour admirer le public silencieux. Des familles entières, heureuses, étaient présentes. Nox, elle,n'avait aucun souvenir de sa famille. Peut-être n'en avait-elle jamais eu. Peut-être l'avaient-ils abandonnée. Peut-être étaient-ils tout simplement morts. Elle ne savait pas. Mais elles'en fichait. À quoi lui servirait une famille alors qu'elle avait le cirque? À rien. Donc elle n'en avait pas besoin, c'était aussi simple que ça. Ici,entourée des membres du cirque, elle n'était jamais seule et elles'estimait chanceuse de ne pas être à la rue à l'heure actuelle. Que demander de plus? Sa vie n'était pas aussi horrible que ça,même si elle était ponctuée de spectacles et de coups de fouet.Elle émit un petit rire fluet. Derrière le rideau la voix de Monsieur loyal présentant le spectacle retentit. Le silence se fit chez les artistes et le public. Le spectacle commençait.
Nox fit son entrée sur scène sous le regard admiratif de tous les spectateurs. La jeune funambule déambulait sur un fil aussi fin qu'un cheveux au-dessus du vide avec la confiance d'un roi face à son peuple. Elle enchaînait saltos, roues arrières et encore d'autres figures et cabrioles comme si elle avait été au sol. Elle avait la souplesse d'un serpent, l'agilité d'un félin et la grâce d'une tarentule. Nox ne cessait de rire, comme à son habitude. Peut-être était-ce pour se rassurer. Peut-être était-ce l'euphorie d'être dans les airs. Peut-être était-ce l'adrénaline. Tant était-il qu'elle riait une fois de plus aux éclats. Que se passerait-il si jamais elle s'arrêtait de rire? Peut-être pleurerait-elle. Peut-être tomberait-elle. Peut-être ne se passerait-il rien, tout simplement. Elle ne savait, elle n'avait jamais cessé de rire. De toute façon, elle était tellement haut que personne ne l'entendait. Et si jamais elle tombait, la rattraperait-on? Non. Sans doute pas. Ce n'était pas parce qu'elle appréciait les membres du cirque qu'elle était aimée en retour. Son rire incessant dérangeait, ses manières et son attitude faisaient peur. Elle rit de nouveau. À quoi bon se lamenter sur son sort? La jeune fille atterrit sur le sol de sable gracieusement dans un salto arrière et salua la foule ébahie, sans jamais cesser de rire. Elle sortit de la scène sous les applaudissements d'un public enivré par la prestation qu'il venait de voir. Le numéro était terminé.
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Dans les Songes d'une Ecosse
Historia CortaViens, voyageur. Laisse-toi tenter par l'odeur douce-amère des pages de cet ouvrage. Entends la mélodie de ce piano et laisse les rires de cette jeune fille te guider. Ne prête pas attention aux coups de feu et méfie-toi du petit Pwcca. (La couvertu...