Chapitre 6

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Des semaines passèrent avec une lenteur indéfinissable. La vie continuait son cours, mais le temps n’effaçait pas la douleur.

Jules avait séché ses larmes, il m’avait dit un jour que ces larmes rappelaient toujours cette trop lourde absence et il ne voulait pas nous rappeler cette éternelle privation que la vie et la mort nous infligeaient, nous imposaient.

Il avait grandi d’un coup. Il avait perdu son sourire aussi, comme tout le monde ici.

Je voyais bien que tout était empoisonné à la maison. Nos rires, nos cris… tout semblait s’éterniser sur le souvenir de maman. On avait tellement mal…

On était retourné au Brésil. Les « vacances » avaient pris fin, je crois qu’il était temps de mettre un terme à ce calvaire et puis se replonger dans les cours permettrait de penser à autre chose. Je voulais tellement sortir de cette torpeur. Eva resta en France, comme avant…. Elle promis que tout irait bien pour elle. Elle devait se recentrer sur ses études, elle ne pouvait pas abandonner maintenant.

On était donc parti pour une nouvelle vie, encore, mon père, Jules et moi.

Tout le monde nous attendait là-bas, le cœur ouvert. On s’est senti réconforté. Papa est retourné au boulot très tôt ; il devait être pressé d’oublier ce cauchemar, parce qu’il ne s’était pas habitué et qu’il ne s’y habituera jamais.

Il me pria d’emmener Jules à l’école, à pied. Avant, c’était maman qui nous déposait en voiture. Aujourd’hui, c’était différent, mais il m’a pris la main et on est parti tous les deux, le cœur un peu plus léger, pour l’école.

Il retrouva son ami Juan, le frère de ma copine ; Anna. On est parti chacun de notre côté en se promettant que cette journée allait être une belle journée pour nous deux et qu’on se raconterait tout ce soir. Je l’ai regardé partir, les mains sur les bretelles de son sac, la démarche un peu hésitante. Quand on a perdu sa mère, on a du mal à avancer correctement. Après tout, c’était elle qui nous guidait…

J’étais trop fier de mon petit frère, «mon petit Jules » comme disait maman. J’aimais bien cette façon de lui dire ça tous les matins avant de partir affronter les chiffres et les lettres, elle lui disait toujours « travaille bien mon petit Jules » ou encore « Je t’aime mon petit Jules ». Et là, je le voyais partir, avec le cœur un peu lourd sans doute de ne plus entendre cette petite phrase rituelle qui lui faisait tant de bien. Je le voyais s’éloigner sans avoir reçu son fameux baiser sur le front, et ça m’a fait mal. Je ne voulais pas qu’il soit privé de la seule chose qui pourrait encore lui rappeler sa mère. Il s’est retourné comme s’il avait oublié quelque chose et je lui ai crié « A ce soir mon petit Jules ! ». Il était tout heureux, il m’a fait un clin d’œil et a ajouté de sa voix aiguë : « A toute mon Grand Max », ce que maman me disait tous les matins, avant de me laisser affronter la vie. Je me suis retourné, le sourire aux lèvres, prêt à affronter la vie, prêt à conquérir le monde. Anna m’attendait impatiemment devant la porte de la classe. Lorsqu’elle me vit, elle courut me sauter dans les bras. Elle avait de la peine pour moi, je le sentais. Elle m’embrassa, tandis que je séchais ses larmes d’un revers de la main.

Finalement cette journée n’était pas si terrible. Jules et moi avions été traité comme des rois et ça nous avait fait du bien. Papa aussi, alors on a commencé à sourire pour de vrai. Mais ça ne voulait pas dire qu’on avait oublié maman, ni qu’on la mettait de côté. Ça signifiait qu’on venait de comprendre qu’à trois on est toujours plus fort pour combattre la douleur.

Je me suis endormi le cœur moins lourd ce soir-là. Et toutes les autres nuits furent semblables. Max était de retour, enfin, plus fort !

Mais il y avait toujours ce petit manque, ce petit quelque chose qui me priait de me souvenir des erreurs que j’avais pu faire dans ma vie.

Ce manque, qui faisait battre mon cœur plus vite à chaque fois qu’il me venait d’y penser.

Où pouvait-elle être à cette heure-ci ?

Le pire c’était de ne rien savoir, si j’avais su je me serai senti mieux, je pense.

Oui, le pire c’était l’ignorance.

Coma.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant