Bouleversée

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Scott me tenait la main dans la salle d'attente. Il la serrait, puis la desserrait, puis recommençait. De temps à autre, il jetai un coup d'œil à sa montre, ou alors il me regardait et nous nous échangions un sourire crispé.

Je saisis un magazine sur la table basse : rien d'intéressant, des photos de célébrités, des affaires d'argent ça et là. Juste de quoi passer le temps.

Mais le temps se faisait franchement long, alors je me réfugiai dans mon portable. De parties de Solitaire en niveaux de Candy Crush, l'ennui semblait moins lourd.

Scott regardait par-dessus mon épaule alors que je jouais. De temps en temps il m'indiquait un mouvement que je n'avais pas vu. Il posa sa tête sur mon épaule et sa main sur ma cuisse.

Au bout d'une heure d'attente, nous vint le bruit des chaises autour du bureau du médecin, signifiant que lui et son patient se levaient.

Les deux hommes se saluèrent et convinrent d'un prochain rendez-vous. Le médecin se tourna vers la salle d'attente.

"Ha, c'est vous..." dit-il quand il nous vit. "Je vous en prie, rentrez... tous les deux."

Nous lui obéirent. Assis tous les trois de part et d'autre du bureau, tous aussi tendus.

"Alors... C'est lourd. Sachez que c'est très grave."

La main de Scott se referma sur la mienne.

"Est-ce que vous savez comment marchent les maladies immuno-déficientes?"

Après que nous nous soyons échangés un regard perdu, le médecin prit le temps de nous expliquer.

"Ce sont des maladies qui n'ont aucun symptôme en elles-mêmes, mais qui attaquent le système immunitaire. Ainsi, le porteur tombe malade, mais de n'importe quelle autre maladie qui a profité de l'occasion. On peut être porteur sain de ce genre de maladies, c'est-à-dire qu'on y est immunisé, mais qu'on la transmet."

Il marqua une pause pour observer nos réactions. Il a du voir la terreur sur nos visages.

"Un porteur sain peut transmettre ces maladies de différentes manières, ici il s'agit de transmission par muqueuses... enfin transmission sexuelle, si vous voulez. Je suis navré de vous l'apprendre, M. Hoying, mais vous êtes porteur sain du SIDA, et vous l'avez transmis à votre époux."

Et bim! Dans les sentiments. SIDA. Rien que le mot évoque la désolation. C'est injuste.

"Mais..." commençai-je. "Je croyais que les symptômes mettaient plusieurs décennies à apparaître..."

"C'est vrai, c'est ce qui se passe en général. Je suis d'autant plus navré que ce n'est pas le cas pour vous, puisque quelques unes de vos cellules ont profité de l'absence de défenses pour se rebeller."

"Vous voulez dire... un cancer?"

"Généralisé."

Scott prit enfin la parole :

"Mais... Il va vivre, n'est-ce pas?"

Le médecin prit une grande inspiration et ne semblait pas répondre assez vite pour Scott.

"Dites-moi qu'il va vivre." demanda-t-il à nouveau, plus fort, avec des sanglots dans la voix.

"Je ne peux évidemment rien vous promettre de tel. La chimiothérapie n'est plus une option. Le cancer s'est déployé trop loin. Je suis navré."

Un long silence, remué par nos souffles lourds et nos larmes naissantes, acheva de nous écraser. Une seule question me brûlait les lèvres:

"Puis-je me permettre de vous demander combien de temps?"

"Quelques moi, tout au plus. Encore une fois, je suis navré..."

"Vous êtes navré?" A présent, Scott criait sans cacher les pleurs dans sa voix. "Vous êtes navré? C'est tout ce que vous trouvez à dire? Je vais devoir dire au revoir à l'homme de ma vie, vous devriez pouvoir faire quelque chose! Il y a sûrement quelque chose..."

"Calmez-vous!" répliqua le médecin en se levant. "Je ne peux malheureusement rien y faire. Personne ne peut rien faire. C'est comme ça. Ce genre de choses n'arrive malheureusement pas qu'aux autres."

Il se tourna vers moi.

"Vous n'êtes pas seul. Je vais vous mettre en contact avec un service d'urgences spécialisé, et des médecins plus qualifiés. Je vous souhaite beaucoup de courage parce que vous en aurez besoin. Si vous avez un problème, n'hésitez pas à m'appeler."

Il nous raccompagna hors de son bureau, et, toujours silencieux, nous nous retrouvâmes dans la rue, perdus.

Je vais mourir. Je ne verrai pas le prochain Noël. Scott vivra Noël sans moi. Je vais le laisser seul. Je sais à quel point il va pleurer.

"Mitch, je suis sûr qu'il est encore temps... On doit pouvoir te sauver...non? Je ne peux tout simplement pas te laisser partir. Je préfèrerais prendre ta place. Je veux vieillir avec toi. Je refuse d'y croire. Ce n'est pas..."

Scott ne finit jamais ce discours. Il éclata en sanglots, et je saisis sa tête pour l'enfouir au creux de ma nuque. Il pleura à chaudes larmes pendant plusieurs minutes.

Aucune larme ne s'écoulait de mes yeux. Trop d'un coup. Trop pour même être triste. Bouleversé, sans doute, mais pas triste.

Alors, je vais me voir mourir? Je vais régresser, diminuer, souffrir, m'isoler, puis mourir? Je vais voir mes proches pleurer? Je vais les laisser seuls? Je vais mener Scott à sa perte?

Je sais qu'il ne vivra jamais vraiment si je meurs. Je sais qu'il ne s'en remettra pas. Moi, je vais causer tout cela?

"Mitch, je n'ai pas le cœur à rentrer, à faire à dîner... Et puis il faut qu'on en parle, autour d'une bouteille, ça ne eut pas nous faire de mal, pas vrai?"

"Tu as raison..."

Je l'embrassai timidement. Ses lèvres avaient le goût de ses larmes.

"Allons dîner au Tournesol."

Apprends-moi [deuxième livre] Scömiche FROù les histoires vivent. Découvrez maintenant