Parisien(ne)

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Scott m'emmenait ce soir-là au Tournesol pour la deuxième fois. Cela faisait déjà une semaine que nous avions découvert cet endroit, et notre première visite nous avait grandement convaincu de revenir. En arrivant, j'étais content de retrouver ce petit bâtiment discret, élégant, duquel une faible lueur nous venait par les fenêtres drapées de rouge. Le son de l'accordéon montait alors que nous nous approchions.

Scott ouvrit la porte et me devança à l'intérieur. Tout était en place comme nous l'avions laissé la dernière fois, la lumière douce, l'odeur de la cuisine et des cendriers, les musiciens dans un coin et la serveuse aux cheveux épars.

Elle nous installa à la même table que la dernière fois, et s'éloigna pour aller chercher les menus. Henri, l'accordéoniste, nous lança un sourire tout en continuant à jouer, pour le plus grand plaisir des clients.

"Je peux vous amener quelque chose à boire?" demanda la serveuse (Emilie, si je me souviens bien?).

"Le même vin que la dernière fois... A vrai dire, je crois que nous mangerons également comme la semaine dernière." fit remarquer Scott.

"Pas de soucis. Je vous amène ça dès que c'est prêt." dit-elle en reprenant les menus.

Elle revint vite avec notre bouteille avant de retourner en cuisine.

Scott prit ma main.

"Mon Mitchie... Tu sais comme j'apprécie ces moments passés avec toi."

Il m'arracha un sourire.

"Moi aussi je t'aime. Sers-moi donc un peu de ce délicieux vin."

Il continuait à me tenir la main tout en remplissant mon verre.

"Tu sais, ça va bientôt faire un an..."

"Un ans, déjà!" plaisantai-je.

"Et oui, un an... J'y pensais, l'autre jour, et j'aimerais célébrer ça. Je veux dire faire quelque chose de vraiment fou, un voyage ou quelque chose comme ça."

"Une lune de miel en retard? Je ne suis pas contre l'idée."

"Tant mieux." dit-il entre deux gorgées. "Mais je voudrais l'organiser tout seul, que ce soit une surprise pour toi..."

"Vraiment? C'est mignon, mais c'est beaucoup de travail... Tu m'as déjà tant donné!"

"Je ne m'en lasserai jamais."

Mon coeur se mit à battre très vite. C'est fou ce que j'aime cet homme. Je me penchai par-dessus la table pour l'embrasser. Quand je me retirai, je vérifiais que personne ne nous regardait d'un air mauvais, ce qui, malheureusement, arrive beaucoup trop souvent.

Personne ne nous regardait. En fait, nous étions arrivés plutôt tard et il ne restait qu'une poignée de clients. Même les musiciens semblaient arriver à la fin du morceau.

Quand il ne resta plus que nous, Henri se leva, posa son accordéon à côté de sa chaise et vint nous rejoindre.

"Bonjour. Ca me fait plaisir de voir que vous êtes revenus."

"C'est qu'on se plaît bien ici."

"Merci, j'imagine? En tous cas, je ne veux pas vous déranger..."

"Non, pas de soucis!" l'interrompit Scott. "Notre discussion était très intéressante la dernière fois."

"Puisque vous me suppliez..." dit Henri en riant, et il rapprocha une chaise pour s'asseoir avec nous.

"Vous ne nous avez pas raconté pourquoi vous avez quitté Paris." lui fit-je remarquer.

Henri baissa les yeux et prit une grande inspiration, mais eut l'air de ne pas savoir par où commencer.

"Excusez-moi." dis-je. "Ca ne me regarde pas."

"Si, si! Je vais vous raconter."

Il prit le temps de se servir un verre d'un autre vin et d'allumer une cigarette avant de commencer son récit.

"Je suis né à Paris, avec ma soeur jumelle. Vraie jumelle. Car, oui, je suis né femme."

Cela expliquait la gestuelle féminine et la voix douce.

"J'ai reçu une éducation religieuse et prestigieuse, entre des parents aimants et stables. J'étais on ne peut plus heureuse à Paris, je marchais plusieurs heures par jour, juste pour voir ces rues qui me faisaient me sentir chez moi..."

"Mais, si vous étiez heureuse, pourquoi partir?" demanda Scott.

Henri tira longuement sur sa cigarette avant de répondre.

"Mes parents ont toujours été très tolérants, que je sache... Ils ont plutôt bien pris le fait que je suis bi, mais... Quand j'avais 20 ans, je leur ai dit 'papa, maman, ma décision est prise, je sais au fond de moi que je suis un garçon, alors je vais changer de sexe.' Ils ont commencé par ne pas me prendre au sérieux, puis ils se sont rendu compte que je ne plaisantais pas..."

"Et...?" demandai-je.

"Et ils m'ont signifié que ce n'était plus la peine pour moi de rester en contact avec eux, que je n'étais plus leur fille, blablabla... Quelques semaines plus tard, un notaire m'a appelé pour m'informer que j'ai été déshérité."

"C'est atroce..." dit Scott avec du dégoût dans le regard.

"Comme vous dites... En tous cas je sentais bien que je n'étais plus le bienvenu dans mon ancien environnment. Il me fallait changer d'air. J'ai toujours aimé Paris, mais c'est comme si Paris ne voulait plus de moi. J'ai fait mes valises et je suis parti pour New York, où j'ai changé de sexe. J'ai rencontré Emilie par hasard et je l'ai suivie ici, et nous avons monté ce petit restaurant..."

Un léger silence s'installa avant que Scott ne le brise:

"En tous cas vous avez su surmonter cette épreuve, c'est tout à votre honneur... Et le tout c'est qe vous soyez heureux."

"Oui, vous avez Emilie, et..."

"Ne vous inquiétez pas" dit-il en nous interrompant. "Je suis très heureux, j'ai mon petit jardin secret, mon accordéon et la femme de ma vie, je ne me plains pas... Une autre bouteille?"

Il ne nous laissa pas le choix et s'en alla chercher plus de vin.

"Dure histoire..." fis-je remarquer.

"J'avais pas du tout remarqué qu'il était trans!" dit Scott en prenant sa tête dans ses mains. "La transformation est vraiment réussie!"

"C'est vrai... Il serait dans mon lit, je ne dormirais pas dans la baignoire!"

Scott fit semblant d'être indigné même s'il me faisait parfaitement confiance. L'expérience avec Todrick nous avait tous deux dégoûtés de l'adultère pour toujours.


Une fois sortis du restaurant, alors que nous marchions vers la voiture, Scott et moi-même contemplions les étoiles, bien plus visibles ici que sous la pollution de la ville.

"C'est très joli." dit Scott. "On dirait presque tes yeux."

"Arrête, tu vas me faire rougir." plaisantai-je.

"Arrête, tu vas me faire bander." Répondit Scott avec un sourire en coin.

"Mais ça va pas?"

Il éclata de rire alors que je faisais semblant d'être choqué.

"Dire des choses pareilles, Scott, mais qui t'as appris à te comporter comme ça?"

Pour toute réponse, il me souleva et me déposa sur le dos, contre le capot de la voiture. Ses hanches pressaient entre mes jambes et ses lèvres embrassaient mon cou.

"Mais, Scott, pas ici! Il y a des voitures qui circulent, et un restaurant à côté!"

"Dans la voiture, alors?"

"Non!"

"T'es sûr?"

"Oui!"

Il soupira. "Bon, d'accord. Mais je te préviens, je vais conduire vite!"


Apprends-moi [deuxième livre] Scömiche FROù les histoires vivent. Découvrez maintenant