Connor Wayne

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Je m'appelle Connor Wayne (Co' pour les intimes) et j'ai 25 ans. J'habite encore chez mes parents puisque j'en suis toujours au stade des études et c'est cool de pouvoir être soutenu par ses parents durant cette période pas tout le temps évidente. Non, en vrai, c'est parce que je n'ai pas assez d'argent pour avoir mon propre chez-moi, mais ça fait un peu moins classe. Du coup, quand l'un des mes amis me demande pourquoi je suis encore chez mes parents alors que la plupart d'entre eux sont déjà proprio et ont une femme, des gosses et un chien (j'exagère peut-être un peu), je dégaine cette excuse à trois balles. Sérieusement, c'est relou de rentrer tous les soirs à la maison comme un bon petit toutou et de manger les pâtes que maman a cuisiné spécialement pour moi. J'avoue que ça a ses avantages aussi : le ménage, le repassage, les factures... Pour faire court, je suis un enfant gâté de 25 ans. La loose. S'il n'y avait que ça, je ne m'en plaindrais pas mais ce n'était pas le cas. Parce que vous ne le savez pas encore mais je suis hylophobe. Et ça, c'est vraiment la loose.

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Vous ne savez probablement pas ce que ce mot signifie, mis à part que ça veut dire que j'ai peur de quelque chose. Pour ceux d'entre vous qui ont fait (ou font toujours) du grec, vous n'aurez aucun mal à deviner. Pour les autres, benh... vous n'avez pas vraiment le choix, il faut écouter mon histoire. Ou chercher dans un dico. Au choix.

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Sept heures du mat. Le réveil sonne. On est dimanche mais je me lève quand même pour allez faire un jogging. Je me lève en grognant et prend une douche rapide, puis file vers la cuisine en faisant le moins de bruit possible, pour ne pas réveiller mes parents. Peine perdue, puisque ma mère est déjà sur le pied de guerre, entrain de me tartiner des tranches de pain. J'ouvre la bouche afin de lui dire que je suis assez grand pour faire ce genre de choses mais je me ravise au dernier moment.

-Salut M'man.

Elle lève la tête vers moi en souriant :

-Salut Coco, bien dormi ?

Encore un de ses surnoms à trois francs six sous. Et ce n'est pas le pire. Vous n'avez pas eu le droit aux "petit chou", "mon canard", "ma puce"...

-Je te prépare une boisson chaude, mon cœur ?

Je retire ce que je viens de dire. Ma mère est la reine des surnoms, à croire qu'elle ne connaît pas mon véritable nom. Au lieu de le lui faire remarquer, comme il me brûle l'envie, j'acquiesce vaguement et m'assois à table. J'enfile rapidement mon déjeuner, répondant par monosyllabe aux questions de ma mère, pas d'humeur bavarde. Je rejoins ensuite ma chambre pour enfiler mon survêt', mets ma montre connectée qui me calcule l'effort que je vais faire et prépare un sac à dos. Cinq minutes plus tard, je redescends au salon où ma mère regarde une émission débile à la télé et sors de la maison en lui lançant un vague "à plus", auquel elle répond par :

-N'oublie pas de prendre Barney !

Barney, c'est notre chien. Un labrador. Il est l'une des raisons pour lesquelles je me dis que cette maison familiale va me manquer. Sans oublier les muffins de maman, mais ça, c'est autre chose. Chaque dimanche, je pars courir et, chaque dimanche, Barney me tient compagnie. Ça lui fait un bien fou de pouvoir courir car ma mère le promène tous les jours mais à son rythme, si vous voyez ce que je veux dire. Je me dirige vers sa niche et le labrador m'accueille avec entrain. Il doit sentir la balade arriver.

-Salut Barny !

Il me répond en me sautant dessus et me léchant la moitié du visage. Je rigole et nous restons cinq bonnes minutes par terre, moi à rigoler à m'en faire mal aux abdos (que je ne possède pas, malgré mes nombreuses tentatives) et lui, à me léchouiller de partout. Quand je me suis calmé, je me remets debout et vérifie que le collier de Barney est bien attaché. Puis nous partons.

Ça fait maintenant une bonne heure que nous sommes partis sillonner les rues de la ville qui se lève à peine. Bande de flemmards. Nous arrivons au parc et je fais une courte pause pour attacher Barney, pour la simple et bonne raison que ce chien a une vilaine manie de partir à la chasse aux canards et de tomber constamment dans le lac, au milieu du parc. Et après, il faut passer une heure à le laver de fond en comble parce que ce lac est dégueu. Bref. Je repars au petit trot mais suis obligé d'accélérer car mon allure ne convient pas à Monsieur Barney. Un rapide coup d'oeil à ma montre m'apprend qu'il est neuf heures. Le soleil commence à pointer son nez au travers des rares arbres qui bordent le chemin. Je souris, jamais las de sentir les rayons me réchauffer le visage. Malheureusement, mon bonheur est de courte durée puisqu'à cet instant, Barney se met à accélérer comme un dingue et je manque de m'étaler au sol. Correction : je m'étale au sol et lâche, par la même occasion la laisse. Le temps que je me relève en fulminant (et en regardant de tout côté pour voir si personne ne m'avait vu. Je tiens à ma réputation quand même ! Heureusement pour moi, personne n'est dans les environs à cette heure si matinale), Barney a déjà une centaine de mètres d'avance sur moi. Je pique un sprint dans l'espoir de le rattraper mais mon intelligent labrador pense qu'il s'agit d'un jeu, alors il repart de plus belle. À la première bifurcation, j'aperçois le lac et pense que Barney va se jeter dedans mais il continue sur le chemin en aboyant le plus fort possible. Pas de chasse aux canards aujourd'hui. Tant mieux. Et je reprends ma course, quittant bien vite le parc et son chemin qui m'est familier.

Dix minutes plus tard, je suis toujours entrain de courir sans regarder devant moi quand soudain... je me retrouve, pour la seconde fois, le nez dans l'herbe. J'entends les aboiements de Barney à mes côtés et il s'approche enfin de moi en me reniflant. Sans même me relever, j'empoigne fermement son collier pour ne pas qu'il ait l'idée stupide de recommencer sa course-poursuite. Mon cœur tambourine dans ma poitrine et je crois que je ne me suis jamais senti aussi fatigué. Je n'avais pas l'habitude de courir aussi vite, parce que d'ordinaire, je me contentai de trottiner une heure ou deux, juste histoire de décompresser et de faire un peu de sport. M'appuyant sur mes mains, je me redresse et peux enfin découvrir le paysage autour de moi. Mon cœur faillit rater un battement. Bordel de m**de ! Mon cœur se met à battre encore plus fort, s'il peut encore le faire, si bien que je le sens sortir de ma poitrine. Incapable de me relever, je me mets à ramper au sol, la tête me tournant brusquement. Quel con, mais quel con ! Barney continue à aboyer, ne comprenant sûrement pas ce qu'il se passe. Je sens la transpiration s'infiltrer sur mes vêtements pourtant certifiés anti-transpirants et un goût amer envahit ma gorge. Je sens que je vais vomir. Je m'arrête, à bout de force mais Barney pose sa truffe froide sur mon visage, comme s'il sentait que quelque chose n'allait pas. Il se met à gémir, sentant mon angoisse et ça me donne un peu de force pour me lever. Je prend la laisse de Barney et cours sans regarder autour de moi, ce qui n'est pas une bonne idée puisque, une minute après, je prend un arbre mais réussis à garder l'équilibre. Je sens les larmes s'accumuler au coin de mes yeux à mesure que la panique s'empare de moi. Je respire longuement, espérant calmé ma peur. Car oui, j'ai peur. Non, même plus, je suis terrifié. Totalement paralysé. Parce que je me trouve face à ma phobie, ma pire peur, ma hantise. Alors je fonce, je fonce aussi vite que je peux, tâchant d'éviter les obstacles sur mon chemin.

Finalement, je parviens à retrouver le chemin réconfortant du parc, Barney sur mes talons. Je m'accorde alors une pause, lessivé, les deux mains sur les genoux. Mon dieu, j'ai vraiment cru que j'allais y passer. Une fois que j'ai retrouvé mes esprits, je jette un dernier coup d'œil derrière moi, où elle se dresse de toute sa hauteur, exhibant sa froideur et son obscurité, ses arbres et ses racines.

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Je m'appelle Connor Wayne, j'ai 25 ans et je suis hylophobe. Allez, une petite aide, pour ceux qui sont paumés : hylo, ça signifie "forêt" en grec.

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By @PetitKoalaIndiscret

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