i ⎯ marchand de planètes

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Maigre carrure aux yeux plissés, le jeune homme se cachait derrière ses mèches d'ambre aux premières lueurs du jour. La cacophonie des astres ne laissa poindre qu'un agacement volatile au bord de ses lèvres. Ses gestes empâtés au réveil, il s'extirpa péniblement de son lit pour entreprendre sa mécanique quotidienne.

Liqueur amère, souffle glacé du dehors, stries vocales du palier voisin ; tout cela n'avait jamais effleuré ses nerfs plus que l'activité professionnelle qu'il menait. Les brins roux de sa chevelure s'emmêlaient à chaque pas contre la brise fouettant les rues, pourtant sa cadence ne décroissait pas d'un iota. L'étroite office qui l'accueillerait une journée de plus attendait, patiemment. Le verrou lâcherait son soupir matinal, et le jeune homme s'effacerait de moitié au fond de son large siège.

Comme la veille, l'avant-veille et le jour d'avant encore, sa patience s'effilocherait au grès du carrousel d'âmes qui prendraient place sur la banquette fatiguée.

« Monsieur Kim aura du retard. » Interféra une voix cassée en ouvrant la porte à la volée.

Hochant de la tête pour toute réponse, il se soulagea de voir sa secrétaire repartir aussi vite qu'elle était venue. L'étroitesse du cabinet l'étouffait parfois, mais apparaissait bien plus douce que la proximité qu'il devait entretenir avec le personnel. Sa profession l'épuisait, et il s'imaginait parfois tout plaqué sans remords même si cela n'arriverait certainement jamais.

Ses pupilles longèrent la longue pile documentée qui s'étalait généreusement sur son bureau. La plume coincée entre les doigts, il se saisit d'un premier dossier dont il compléta les informations avec l'appui du silence relatif enveloppant la pièce. Les rouages des transports alentours faisaient vrombir les murs à certaines heures, les stylos tremblaient contre leur conteneur dans une longue complainte. les jointures de la seule fenêtre présente sifflaient parfois, lorsqu'elle ne subissait pas l'agression permanente des lampadaires alentours.

L'horloge torturait les tympans du jeune homme de sa litanie habituelle, bien qu'il ait la sensation que le temps s'effiloche plus rapidement qu'à l'accoutumée. Rares étaient les fois où son premier patient du jeudi matin avait du retard, sa ponctualité lui avait amené une certaine sympathie. Cependant cette césure dans une routine bien huilée picotait les sens du jeune docteur, mais sa curiosité n'en était pas pour autant plus attisée que d'habitude.

Trois coups secs frappèrent le métal avant que la porte ne s'ouvre dans un souffle d'épuisement.

« Monsieur Kim vient d'arriver. » Annonça la secrétaire sans même feindre l'ennui qui accompagnait ses gestes.

« Faites le entrer. » Prononça le jeune homme, la tête obstinément baissée sur la paperasse. « Installez-vous, nous allons commencer dans une minute. »

D'un mouvement fluide, le nouvel arrivant se dirigea vers la banquette décolorée une fois la porte fermée. Sa respiration lente accompagna les derniers mots du médecin contre le simili-papier de son dossier. Sa plume pu enfin se reposer contre le cuir usé protégeant une partie du bureau.

« Commençons. » Fit-il par la suite en relevant la tête vers son patient. « Allongez-vous, je vous en prie. »

« J'aurais voulu vous prévenir plus tôt de mon retard, mais j'avais à faire. » Répondit l'homme tout en s'installant avec lenteur, les pupilles bientôt fixées sur leur repère habituel au plafond. « Vous savez, ce n'est pas facile parfois. »

« Je le sais bien, ne vous en faites pas. Le marchand de planètes ? » Interrogea platement le médecin.

« Il a embrasé le ciel en pensant que les flammes attisent une clientèle. » Le ton plus grave, l'homme tourna la tête vers son homologue, toujours allongé contre la banquette. « Plus d'un météorite jaillis de sa cravate. Prenez votre planète, il va solder le ciel d'un contrat en turban. Puis s'en ira les épaules lourdes dans son habit de miel. »

« Serait-ce avec lui que vous avez eu à faire ? » Passant une main dans ses mèches ambrées, le jeune docteur se leva de son fauteuil pour contourner le bureau. Il s'y appuya une fois de l'autre côté, les épaules et l'attention tournées vers son patient.

« J'aurais aimé. J'ai peur de m'être défilé une fois de plus, ses folles arabesques m'ont entourloupé bien avant que je n'ai le temps de penser vous prévenir. Sa litanie terminée, je me suis endormi sur le matelas du jour. » Soupira l'homme.

« Votre retard ne m'était pas encore familier, et j'espère que jamais il ne le deviendra. » Le médecin remit ses lunettes correctement en les sentant glisser de son nez. « Je sais qu'il vous ait déjà arrivé de commercer avec lui, vous pouvez m'en parler ? »

« La première fois vous la connaissez sur le bout des doigts maintenant, mais la dernière... Le regret pesait sur mes gestes, alourdissait jusqu'à la pulpe de mes doigts pendant la transaction. Mais mon corps me réclamait l'élixir enfoui dans les vastes poches de son habit de miel, et moi, homme faible que j'étais je ne savais que m'y plier. » Ses yeux se fermèrent en une maigre grimace. « Je me sentais libre de moi-même lorsque la liqueur caressait ma gorge, son emprise me donnait des ailes. Je suis comme les autres. »

« Il n'y a rien de mal à être comme les autres. » Le médecin fit une pause, cherchant les mots justes alors que son patient relevait les yeux vers le plafond. « Pourquoi avoir arrêté alors que vous vous sentiez si bien? »

« Retourner à la réalité m'était si cruel, mon âme se mourait d'avoir à revenir d'un monde à l'autre chaque fois que j'y cédais. Sachez aussi qu'avoir les faveurs du marchand de planètes n'est point aisé. C'est un ami qui m'avait permis de faire affaire. » Expliqua l'homme en commençant à se triturer les doigts.

« Et qu'est devenu votre ami ? » Questionna le jeune médecin en sentant que cette partie appelait un nouveau sentiment chez son patient.

« Un jour est venu où il n'a pu conclure son affaire avec le marchand de planètes, et ce dernier, non content d'avoir son dû, avala son âme en compensation. Une vie n'était que maigre paiement pour ses affaires, et c'est peut-être ce qui m'a poussé chez vous. La peur d'égarer mon âme me hante, j'en perds le sommeil et l'appétit. » Avoua-t-il en ouvrant à demi les yeux.

« Ne baissez pas les bras, vous savez que vous êtes sur la bonne voie. En vous éloignant du marchand de planètes vous avez fait le choix de refuser l'égarement. Même sans âme, la vie peut prendre d'agréables couleurs, sachez-le. » Lui sourit discrètement son médecin alors que sa poitrine se serrait l'espace d'un instant. « Vous n'êtes plus seul, gardez cela à l'esprit. L'idylle que vous pensez avoir perdu est bien maigre comparé à celui que vous aurez dans les années à venir. La vie offre de belles choses si on lui en laisse l'occasion. »















PLUTON | minjoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant