Part.4

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Les pavés sont tous alignés, et symétriques. J'essaie de marcher droit mais il semblerait que l'alcool aie imbibé tout mes tissus sanguins, toutes les zones d'échange de mon corps, tout est pollué, je suis une éponge de vodka prête à exploser.
Alors je tangue, je glisse, j'ai les yeux vitreux, et je sens mes amis autour de moi, qui rient jusqu'à vider leurs poumons, qui rient jusqu'à ce que leurs éclats de fou rire montent au ciel.
Les rues sont vides, mais le ciel de nuit est bleu marine, clair, ensevelis de constellations. Et puis je suis la, je tourbillonne au milieu de la ville endormie, j'entraîne tout mon corps dans un cercle indéfini, infini, le plus vite que je peux.
Tu sais ce que ça fait, de fixer les étoiles à vive allure? On dirait qu'elles se tiennent les mains à bout de doigts, qu'elles s'aiment et se retiennent. Leurs frêles silhouettes translucides  et rendues floues par leur spectre de lumière s'enchevêtrent les unes les autres, jusqu'à former un amas indissociable.
Oui, je tombe peut être par terre par moments, mais je ne peux m'arrêter de fixer le ciel de minuit, j'ai les yeux qui demandent et qui suintent d'attention pour admirer des belles choses, pour garder espoir face au monde qui m'apparaît si laid.
Et comme ça, assis par terre, les genoux éraflés à force d'heurter le sol, je ris, de toutes mes forces, je m'époumone de bonheur.
Il m'asphyxie et me tord l'estomac, car il est vrai que les dépressifs meurent de tristesse et de morosité, mais je suis persuadé que les euphoriques succombent tout aussi bien.
Trop de tout te tue, c'est vrai. Alors je veux tout faire un peu, je veux courir sur cette roue bétonnée, mais une fraction de seconde, pour que mes muscles ne s'épuisent jamais. Pour que mon corps ne retienne que l'adrénaline et pas l'effort. Pour qu'il se souvienne à quel point traverser en quelques enjambées une si grande distance est jouissif, pour qu'il retienne l'amour que j'ai pour tout ce qu'il me permet de faire, pour toutes ces distances qu'il rend accessibles.
Je veux rire, aussi, mais continuer à me perdre entre les larmes de temps à autre. Car si ton cœur ne connaît pas la tristesse, comment diable peut-il apprécier la joie? À mon sens, tout est comme une palette de peintre, tu dois savoir doser les couleurs pour obtenir tout ce à quoi tu aspires pour peindre tes sentiments sur ta toile vierge d'expériences. Oui, tu dois, redessiner ton monde, refaire les contours qui bordent la Voie lactée, et ceux qui dessinent la nuque de la fille que tu aimes. Les milliers de petits traits, qui a la manière des étoiles, s'enchevêtrent de sorte à former tes yeux rougis et clos par tout ce que tu imbibes ce soir.
Je prends une grande inspiration, et je me laisse tomber sur le trottoir.
J'ai la tête encombrée de nœuds, les mains, les genoux et la lèvre sanguinolents, mon jean déchiré est bientôt entièrement rouge. Mais ça n'est plus ça, l'important.
Mon corps, mes os, ma peau, qui pourriront un jour.
Je ne suis plus qu'une tête, qui surchauffe et réinvente le monde chaque minute qui passe et qui s'écoule avant de se perdre, comme toutes les précédentes avant elle.
Je renverse la tête sur le côté et attrape ma bouteille, je presse le goulot sur mes lèvres. Il est frais, en verre, circulaire, rendu poisseux par l'alcool fort du samedi soir. Et je bois, je laisse le liquide chaud passer ma trachée irritée et fumante, je le laisse se frayer un passage dans mes organes, je le laisse se faufiler dans mon sang et me rendre de plus en plus abrupt et vide de sens, vide de sang.
Je laisse tomber la bouteille en arrière.
Mon cœur bat si vite que j'en mourrai en temps normal. Il se déchaîne, hurle et bat ma poitrine avec une force qui moi même m'étonne.
Mais je ne le laisserai pas sortir, je ne le laisserai pas me ramener en arrière. La peau de ma poitrine est devenue si épaisse que ce pauvre cœur se démène tout seul.
Oui, comme je l'ai dit, je ne suis que âme, je ne suis qu'une tête.
Mon corps, ses expressions de tendresse, et toutes ses vagues de chaleur qui me faisait sentir vivant, ou du moins existant, oui, ce corps là, est resté avec Violet.
Et je ne serai plus entier, je le sais.
J'ouvre les yeux, et le ciel est sombre, toutes les étoiles ont disparu, elles ont toutes déserté, et ma gorge est sèche, rauque.
J'ai soif d'amour, et j'ai beau ramener le goulot sale a mes lèvres blessées, la vodka n'y fait plus rien, et mon cœur reste vide.

Je rentre à vélo, mes cheveux poussés vers l'arrière. Tout est flou, j'ai du mal à pédaler correctement, et je pourrai mourir dans la minute, tant je suis bourré.
Mais ce soir, je n'ai pas envie de rentrer à la maison.
Non, je ne veux plus voir papa et maman de hurler dessus leur amour qui tourne en haine, non, je ne veux pas de mon matelas troué et éventré de plumes qui me fait mal au dos.
Je n'ai plus envie de cette vie misérable, je n'ai plus envie de me coucher le soir la gorge brûlée par le tabac, de ramper sur le dos et de vomir mes cauchemars.
Je force comme un fou sur mes pédales, oui, je supplie mon vélo de me faire aller plus vite qu'une comète en feu, de me faire voir le monde sous un autre œil.
Peut être que la terre, vu par tout ses habitants, n'est jamais la même.
Ce soir, je veux tester toutes ses versions, je veux exploiter tout le potentiel de ce monde trop souvent brimé et catalogué.
C'est vrai, les humains le pourrissent, mais au fond, à quel point peut il être aussi terrible que ça? Je suis sûr qu'il est beau, qu'une lumière se trouve tout autour de nous.
J'en suis si sûr que j'accélère jusqu'à me briser les chevilles, jusqu'à obtenir un résultat, jusqu'à voir mes poumons et mon cœur s'affoler, jusqu'à ce qu'un monde différent surgisse, là, devant mes yeux si faibles et si surchargés de défauts.

Mon corps s'immobilise et je manque de tomber en avant.
Tout mes membres sont douloureux et me lancent, j'ai le visage fané et éteint mais elle rayonne de l'autre côté de la route, son corps fluet qui se tient droit et un peu tremblant, mais peut être que l'alcool me fait me l'imaginer ainsi.
Je suis toujours sur mon vélo qui tangue, les mains sur mon guidon, mes pauvres mains qui tremblent et s'agitent.
Là, pour sûr, ce n'est pas l'alcool, c'est autre chose, une substance qui infiltre mon cœur d'une manière douce et qui m'anime l'estomac, sans pour autant le retourner, sans pour autant le malmener.
La nuit n'est pas calme, les maisons semblent sauter en hauteur tant la musique dans les baffles est forte et transperce les murs.
Mais au près d'elle, il n'y a plus aucune vagues dans ma poitrine, plus aucune blessure qui suinte, plus aucun maux qui tord ma tête de douleur.
Au près d'elle, le monde s'arrête de tourner, et la voilà, ma vision différente du monde. Elle est là, elle se tient timidement sur le trottoir à droite de la rue.
Elle rend mon monde plus beau, elle le rend plus facile, plus lumineux, et si elle savait comme elle me fait perdre mes mots. À côté d'elle, les adjectifs sont faibles, et leur sens semble divisé par dix, mais rien ne la qualifie assez bien, mon vocabulaire est trop pauvre, trop imprécis.
C'est la lune qui se reflète sur ses clavicules maigres enrobées dans un pull noir à présent, que mon œil distingue.
Ma vision est floue, Mais lorsqu'elle se focalise sur elle, tout devient net, précis, et je pourrais te dire comment est le grain de sa peau, comment ses lèvres se dessinent, même dans la pénombre d'automne.

Peut être que les corps s'attirent comme des aimants, aux deux sens du terme. La force physique les cloue l'un à l'autre, leur champ magnétique les entraîne, les pousse à ne former qu'un amas, comme les étoiles de la ruelle de tout à l'heure.
C'est peut être pour ça, que je sens ses mains dans mon cou, qui s'accrochent doucement. Que l'électricité parcourt chacune des parcelles de mon pauvre corps tout bancal, tout usé, tout cassé.
Que ses lèvres sont pressées sur les miennes de manière si parfaites, et que leur arabesque semble si surfait, qu'on les croirait faites pour s'imbriquer.
Mais le mot est dur, trop mécanique. Elles ne s'imbriquent pas, elles se fondent, sûrement. Elles s'évanouissent dans cet amour fictif, qui lie mon corps et ma tête, qui les rendent plus sains, plus vivables. Elle accorde mes pensées et mes sentiments, et leur permet de cohabiter, et d'abandonner leur éternel combat dans ma cage thoracique flambante.
Et oui, c'est pour toutes ces raisons, qu'une fois séparés, et assis sur les balançoires d'un parc abandonné, que je conçois notre nature d'aimants s'attirant et s'aimant.

Violet peut me briser le cœur si elle le veut, elle ne changera pas le fait qu'avec elle, ça n'est pas seulement ma tête qui se fait moins douloureuse, mais tout le monde autour de nous. Ce monde qui nous enveloppe. Ce monde avec lequel j'ai tant de mal.
Violet, tu peux le changer, tu peux rendre son étrange fonctionnement vivable.
Violet, ici, sous le ciel à nouveau étoilé, au milieu de ces jouets à échelle humaine, rouillés et abandonnés, oui Violet, même au milieu de toutes ces confusions, une seule chose reste certaine.
Le monde, la vie, les gens, tout est étrange, tout me rend perplexe.
Mais avec toi, je leur retrouve un sens.
Et tu me fais me sentir, tellement et incroyablement vivant.

VioletOù les histoires vivent. Découvrez maintenant