Relations

389 38 12
                                    


2:00 pm

J'ai toujours aimé me promener dans le centre-ville. Il y règne toujours une ambiance spéciale, artistique, qui me pousse à me munir de mon appareil photo pour immortaliser ces moments si agréables. J'aime ma ville. Elle me manquera, peut-être. J'aimerais pouvoir emmener mon reflex avec moi en enfer. Qui sait, je pourrais peut-être même envoyer des photos aux vivants depuis l'au-delà ?

J'aperçois Pen et Jo au loin, engagées dans une conversation violente. Je crois qu'elles se disputent. Je n'ai jamais vu Pen, le visage fermé, aussi enragée de ma vie. Même la colère lui sied si bien... Mon cœur fait un bon dans ma poitrine. Mais non, il est trop tard, elle ne sera jamais mienne. Même si elle rompait avec Jo, je serai partie bien avant pouvoir lui déclarer ma flamme. Que dis-je. Elle et Jo font le couple parfait. Jamais elles ne se sépareraient.

Je me demande comment elles deux ont vécu leur coming out. Je veux dire, on est en 2017, les mœurs des plus jeunes ont évolué et il est presque commun de voir deux personnes du même sexe ensemble. Mais ce n'est pas forcément le cas des générations passées. Ce qui est drôle, c'est que ma mère a toujours semblé le savoir. Quand nous regardions des films et séries ensemble, plutôt que de me faire remarquer à quel point un acteur était mignon – comme chaque mère le fait avec sa fille – elle me demandait ma préférence entre les rôles féminins. Cette particularité ne l'a jamais dérangée. C'est aussi une chose que j'aime chez ma mère : elle se fiche de la normalité. Là où tous les parents redoutent un coming out, je me souviens d'un jour où elle m'a dit « Manquerait plus qu'un jour tu me dises que tu es hétérosexuelle ! ».

J'adorais passer des soirées film avec Kat et ma mère. Toutes deux discutaient de garçons avant de se retourner vers moi pour me demander mon choix. Puis elles débattaient sur celles qu'elles pensaient être les plus canons, tout en me considérant comme le grand juge détenant la vérité absolue. Aime-t-on les mêmes types de fille avec Pen ?

Ça n'a jamais été la même chose avec mes grands-parents. Ils m'aiment, je crois, mais savoir que jamais je ne leur ramènerai un garçon, que mes enfants ne seront soit pas les miens, soit d'un père inconnu, a eu raison d'eux. Ma révélation a été accueillie par un silence des plus glaçants. Je ne pensais pas vivre de drame après la réaction de ma mère. J'avais tort.

Peu à peu, nous avons été de moins en moins conviées aux repas de famille. Pour Thanksgiving et Noël, nous ne recevons maintenant plus que des cartes. Je ne sais même pas s'ils m'envoient toujours des cadeaux d'anniversaire. Au final, je m'en fiche. Si telle est leur réaction, alors ma mère a raison : on est bien mieux sans eux. Toutes les deux, à se serrer les coudes.

Je suis la moins que rien du lycée. Je suis la moins que rien de ma famille. La ratée, celle qu'on préfère oublier plutôt que d'affronter. Celle qu'on raiera de l'arbre généalogique plutôt que de l'assumer en public. Celle dont on niera l'existence. Eh bien, vous n'aurez bientôt plus à vous préoccuper de moi. Je serai bientôt partie, dans trois heures et cinquante-six minutes, vous n'aurez plus à endurer cette honte.

Au lycée, avant ma sombre réputation de salope, il était de notoriété publique que j'étais gay. Et tout le monde l'acceptait, aussi facilement que ça. J'ai eu beaucoup de chance. Mais la parution de la vidéo a tout chamboulé. Étrangement, je suis passée d'homosexuelle notoire à bisexuelle intéressée par tous types de mecs – même ceux dont personne ne veut et ne voudrait jamais – en l'espace de quatre minutes. Et mon homosexualité si bien acceptée est devenue une tare dont je devrais avoir honte.

Ce qui est étrange, c'est que tout le monde répète toujours que Pen et Jo vont hyper bien ensemble. Qu'elles sont si belles et si mignonnes toutes les deux, partout où qu'elles aillent, main dans la main. Deux filles ensemble, de quoi devrait-on être choqué ?

24h Pour me SauverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant