24h Pour me Sauver

Suicide

5:55pm

J'y suis. Plus que cinq minutes. Je n'ai plus qu'un pas à faire pour mettre fin à cette gigantesque plaisanterie. J'espère simplement que Dan et Pen ne seront pas là pour voir mon corps s'effondrer du toit de la résidence. Ma mort leur sera dans un premier temps assez difficile comme ça.

Et puis, comment je suis censée faire ? Un pas en avant et me laisser tomber vers l'inconnu ? Sauter à pieds joints dans le vide comme on le ferait dans une flaque d'eau... une mare de sang ? Se laisser basculer vers l'avant et voler vers le paradis ou l'enfer ? Ou regarder le ciel en espérant qu'il accepte de me retourner l'étreinte de mes bras grands ouverts ? Ils ne montrent jamais cette scène, dans les films. C'est malin, ils coupent la séquence juste avant qu'on ne découvre la réponse à cette question si cruciale...

Mes jambes battent le vide. D'une poussée de bras, je pourrais en finir, aussi facilement qu'on descend d'un haut rebord. Mes souvenirs, mon passé, mon futur à présent écourté... Et cette peine qui m'emplit la poitrine, qui dévore tout à l'intérieur.

Je suis la fille sans avenir. Celle dont tout le monde rit. Je ne m'appartiens plus. Mon corps est à la disposition de tous. Je suis celle dont on se sert pour se sentir mieux, pour s'amuser, pour assouvir ses désirs. Je suis celle que personne ne respecte, que personne ne prend au sérieux. Celle dont tout le monde se moque. Celle dont tout le monde se fiche.

Ils commencent d'ailleurs à affluer, en bas. Des doigts levés au ciel dans ma direction, des mains portées aux bouches. Je peux entendre leurs dernières moqueries, leurs dernières insultes. Je ne suis qu'une diva. Une drama queen. Une fille qui cherche l'attention. Encore une fois, ils ne me prennent pas au sérieux. J'espère que l'image de mon corps qui tombe tel une poupée de chiffon restera gravée dans leur mémoire à jamais. Je suis déjà inoubliable. Je veux l'être pour une autre raison.

Cinq heures cinquante-neuf. J'ai l'impression que des centaines de personnes me regardent. Je perçois la rumeur en bas. Elle ne m'atteint pas. Elle ne m'atteint plus. J'ai au moins le pouvoir de les ignorer pour cette dernière minute. Plus personne ne peut me sauver. Dans quelques secondes, maintenant, l'alarme retentira. Tout sera fini. Ma misérable existence. Ma douleur. Mon esprit sera enfin délivré de mon enveloppe charnelle bousillée. Cette journée se sera déroulée exactement comme je l'avais prévue.

Quelques professeurs lèvent leur tête vers moi. Ils crient. Ne fais pas ça. Trop tard. Je vous ai laissé l'occasion de me sauver. Vous avez ignoré ma main tendue vers vous. L'avez repoussée. C'est à vous, maintenant, d'en payer les conséquences.

Je me lève sur le parapet. Plus que quelques secondes. Un regard à ma montre. Dix secondes. Neuf. Huit. Sept...

En équilibre sur le parapet, je regarde l'horizon. Je n'observerai plus jamais le soleil se lever ou se coucher. Cette vue que manquera, peut-être. Cinq secondes. Quatre. Trois...

« KAY ! »

La voix de Dan me fait sursauter. Il attire mon attention. Mon portable sonne. C'est l'heure. Je dois mourir. Et pourtant... il m'en empêche. Tout ne se passera pas comme je l'avais prévu, finalement. Il reste une minute avant que le 6:00 fasse place à la minute suivante. J'ai le temps de m'excuser et dire au revoir. Je ne peux pas juste sauter devant son regard affolé et sa main tendue vers moi. Je n'ai jamais vu l'anxiété autant déformer son joli minois...

« Kay, ne fais pas ça. Je t'en supplie, ne fais pas ça.

- Je suis désolée, Dan. Mais c'est la seule solution. Je n'ai pas le choix.

- Tu as toujours le choix, Kay. Toujours. Ne nous fais pas ça, je t'en supplie.

- Je n'ai donc pas assez souffert ? Il faut que j'endure tout ça un peu plus longtemps ?