Chapitre 1

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Comme tous les matins, la rue s'animait lentement, mais sûrement. Les endormis, avec une belle gueule de bois, se relevait du sol jonché de déchets. Les plus pauvres s'installaient dans les coins qui leur été attribués pour mendier. Tandis que les autres, pauvres aussi, évidement, préparaient leurs petits stands où étaient mis en valeur tous leurs confections pour les vendre, ce qui n'étaient pas gagné d'avance, je peux l'assurer. Et puis ils y en avaient qui restaient à l'écart, prêts à dérober tout ce qui leur semblait précieux, ou alors, plus simplement, de quoi survivre. C'était plutôt des gamins, qui était plus trapue et plus rapide que les adultes, qu'on envoyait voler, souvent pour leurs parents ou pour des personnes les ayant embauché grâce à une somme d'argent leur permettant de sortir de la misère habituel pendant environ deux repas, ce qui n'était pas négligeable. C'était à cela que je ressemblais, un jeune voleur, condamné à vivre dans l'ignorance et dans le pêché jusqu'à la fin.

Mais, j'avais quelque chose de plus, quelque chose qui me rendait à la fois plus fort et plus vulnérable. Je n'avais personne dans ma vie, aucune entrave, aucun support, aucun confident, aucun poids morts. J'étais libre et enfermé, je devais survivre seul, je ne pouvais jamais m'installer, créer des liens, car les chaines m'empêchaient d'avancer, de vivre ma vie comme je le souhaitais. Mais jamais, au grand jamais, malheureusement, les émotions vinrent prendre possession de mon corps. Je ne ressentais ni joie, ni haine, je n'avais jamais été animé par la rage, je ne vivais que pour moi et seulement pour moi. J'étais ce petit prétentieux qui vous bousculait dans la rue, les bras chargés de victuailles volées au marchand qui le coursais, réfléchissant à un abri en permanence. J'étais un gamin de la rue, et jamais je ne renierais cette aspect de ma vie.
Seulement, dans ma situation, je ne pouvais pas vivre seulement du vol. J'avais une tendance suicidaire à provoquer les personnes qui s'improvisaient "maîtres" des bas-fonds. Et cela ne fut pas rare que je me fasse piller mon habitat d'un soir. Alors, j'offrais mes services aux riches bourgeois, connus pour leur générosité, et cela me permettait de vivre un temps légalement, même si très vite, l'on ne me proposa du travail que par pitié, car traverser une rue pour livrer un message était accessible à toute personne.
Je ne pouvais alors me vanter que ma situation était stable, même si, après quelques années livrées à moi-même, je me découvris un talent pour le dessin. Cela me permettait d'échapper un tant soit peu à mon train train quotidien, laisser vagabonder mes pensées au gré du vent. Mais très vite, cela se révéla être un moyen très lucratif de vivre. Dans mon cas, je n'avais qu'à m'asseoir à l'une des rares intersections entres rues côtoyées par la noblesse et celle côtoyées par la plèbe. Mes œuvres partaient alors comme des petits pains, car quand l'on ne sait plus quoi faire de son argent, on la dépense pour tout et n'importe quoi, règle de base des marchands. Enfin bref, pseudo-artiste une partie de la journée, et voleur l'autre partie. Pseudo-artiste commençant à avoir ses habitués, et voleur commençant à avoir ses adresses favorites, souvent les mêmes d'ailleurs. Quelle coïncidence.

Ce fut pendant cette période que je l'ai rencontré. Elle était encore jeune et naïve, incorruptible et fragile. Le genre de personne que l'on aimerait rester durant toute notre vie, ce qui n'est généralement pas le cas. Le genre de stade que l'on atteint à la naissance, et que l'on perd quand l'on commence à percevoir la triste réalité. Cette réalité qui peut tout aussi bien détruire que créer, détruire une idéologie, et créer des êtres emplis de désespoirs. J'aurais aimer pouvoir garder cette image d'elle tout ma vie... Enfin... C'est le lot de surprise que nous apporte la vie, un lot de surprise pas toujours souhaité...
Comme à mon habitude, je dessinait portraits sur portraits, vendait œuvres abstraites et aperçues de la ville. Certains nobles, à ce moment là très attirés par le côté artistique de leur cité, mais surtout très attirés par le fait que leur souverain s'intéressait à l'art urbain, s'arrêtaient quelques instants face à moi, et me passait des commandes ou m'acheter des œuvres. Ils étaient souvent seuls, voulant préserver leurs enfants de la "peste" ou de la piètre vision qu'offrait leur royaume, en tout cas, c'est ce que j'en avais déduit.
Mais ce jour-là, une noble que j'avais déjà eu le loisir d'apercevoir, traversait l'avenue, tenant la main à une fillette qui ne cessait de regarder tout autour d'elle avec de grands yeux étonnés, l'air de dire : "Oh, c'est à ça que cela ressemble... Dehors...". D'un coup, son regard se fixa sur un point imaginaire, bizarrement dans ma direction. Je me retournais pour apercevoir ce qui l'intéressait tant, quand j'entendis une voix toute juvénile :
-Maman, on peut aller voir le garçon ?
-Je suis désolé ma chérie, mais l'on n'a pas le temps de s'attarder sur toutes les choses que tu trouves merveilleuse.
Seulement, la jeune fille était déjà partie quand sa mère termina sa longue mise en garde. Elle laissa échapper un soupir, et la suivit d'un air résigné. La petite fille s'arrêta juste devant moi, et me contempla pendant quelques secondes avec les mêmes gros yeux que lorsque qu'elle regardait les bâtisses. Puis, elle cligna des paupières, et se retourna vers sa mère.
-Maman ?
-Oui ma chérie. lui répondit-elle en souriant.
-On peut acheter la peinture ? lui redemanda sa fille avec des yeux implorant la pitié, tout en montrant une de mes esquisses que je trouvais déplorable, une pauvre pâquerette solitaire dans une prairie abondante d'herbe, qui perdait ses pétales unes par unes, mourant dans la lumière. Franchement, je ne sais pas ce qui m'avait inspiré cette oeuvre, peut être un flash philosophique d'une vie antérieure, ou le destin, aussi futile soit-il.

Sa mère s'approcha, sortit un portefeuille abondamment chargé, et me demanda combien devait-elle débourser. Bien sûr, saisissant cette opportunité, je commençais un long discours sur le fait que "cette oeuvre est le clou de ma collection. Je n'en suis pas peu fier Je l'ai faite en parfaite harmonie avec la nature, un beau jour de printemps, quand le soleil était à son zénith..." Et je me mis à déblatérer pendant de très longues minutes, des inepties sans pareils, sur la valeur sentimental qu'avait cette oeuvre, tandis que je voyais dans les yeux de ma cliente, que tout ce qu'elle voulait, c'était que je lui vende, le reste, elle n'en avait que faire.
Alors, devant son air consterné, je mis fin cette ennuyeuse discussion, qui n'en était d'ailleurs pas vraiment une, étant donné que je ressentais la même chose que si je présentais le but de ma vie à un mur, ce qui est plutôt agréable en soi, lui m'écoutant, au contraire de la femme en face de moi. Je pourrais lui sortir que je voulais sa mort, que je la hait, elle et ceux de son rang, cela la ferait à peine ciller. Enfin bon, mieux vaut éviter quand même. Donc, après avoir enchaîner mensonges après mensonges, je termine ma longue tirade par un prix que certain trouverait exorbitant, mais, contre toute attente, je ne parvins même pas à arracher une expression de surprise, elle déboursa juste le prix demandé.
Pendant ce temps, la fillette se cachait derrière sa mère, observant attentivement la transaction, se demandant sans doute comment un petit garçons vivant au dehors peut parler comme cela à sa chère et tendre "maman". Je ne saurais jamais si elle ressentait du respect ou de l'étonnement à mon égard sur le moment, ce que je sais, c'est qu'elle ne cessait de me dévisageait. Enfin, ça pouvait se comprendre, on a du lui dire tellement de choses sur nous qu'elle ne sait quoi penser quand elle est confronté aux "démons des bas-fonds". En tout cas, quand je lui remis le dessin, immédiatement, elle repartit vers sa mère qui s'était écarté à la suite du marchandage, et lui déposa un baiser de remerciement sur sa joue. Puis, étrangement, elle regarda une énième fois dans ma direction, chuchota des mots que je ne compris pas, et seulement après ça, me fit un grand sourire et agita sa main dans ma direction, en guise d'au revoir. Je sentais déjà que j'allais la revoir dans pas très longtemps.

À vrai dire, sur le coup, je ne savais pas quoi en penser. Je ne sais pas si elle désirait vraiment le dessin, qui n'était particulièrement beau, c'était la conception même d'une nature morte, alors je ne vois pas vraiment ce que l'on pourrait lui trouver... Ou alors juste pouvoir créer un contact avec le "gentil garçon qui vit en dehors de mon palais et qui doit sûrement vivre plein d'aventures comme dans les livres". En tout cas, je crois que cette question m'a hanté une majeure partie de mon existence, car on se retrouve tous un jour dans cette situation, le moment où tu sais que tu dois deviner les intentions de la personne de face, que tu sais que la personne le veut, et tu échoues. C'est simple, je crois bien que cela sera le plus grand dilemme de toute ma vie : pourquoi a-t-elle fait ça ?

  Suite à cela, un événement parmi tant d'autres, je continuais ma journée. Vente par ci, vol par là... Une ou deux exagérations, peut être une personne qui était vraiment amateur d'art s'est t'elle rendue compte de la manœuvre. Enfin , cela se termina presque comme d'habitude. Presque dans le sens qu'au crépuscule, quatre personnes, vêtues de long manteau noir orné d'un blason d'or, m'emportèrent de force dans une grande maison que j'allais apprendre à connaître...

JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant