Chapitre 3

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  Et puis un matin, elle sort de sa chambre. Bien sûr, cela pouvait très bien se révéler être une fausse joie, personne n'ayant vu Mademoiselle rentrer la veille. Mais tout le monde fut fixé quand elle appela un domestique afin de lui demander de préparer son déjeuner, et de le prévenir qu'elle descendra dans une dizaines de minutes. Rien que ses doux pas sur le plancher de l'étager supérieur mirent la maisonnée en branle bas de combats. Il ne suffirait plus que d'un simple "Garde à vous !", pour se croire sur un véritable champ de bataille. Le cuisiner s'affairait aux fourneaux afin de préparer les meilleurs viennoiseries que le royaume eut jamais le loisir de connaître, les deux plus jeunes serviteurs dressèrent la plus belle table que la Reine aurait eu l'honneur d'apercevoir, et le majordome en chef devint l'homme plus serviable que ces vastes contrées ont eu le prestige d'abriter. Avant même qu'Elizabeth eut le temps de commencer à descendre les marches, ils avaient déjà tous accompli leurs tâches. Une nouvelle fois, je pus assister à la démonstration de l'incroyable efficacité des domestiques anglais qui faisait parler d'elle sur l'intégralité du Vieux Continent. Malheureusement pour eux, je ne savais guère ce que l'on disait sur l'appétit de l'anglais moyen, elle ne se délecta que d'une seule des attirantes viennoiseries que l'on me refusait au réveil. Mais cela n'avait pas l'air de contrarier les artisans de banquet. Loin de là, ils semblaient plutôt satisfait d'avoir réussi à lui faire ingérer quelques choses provenant de leurs cuisines. Alors, quand elle les remercia, ils explosèrent de joie intérieurement, explosion remarquable par le rougissement soudain de leurs visages, et le léger murmure balloté par le vent : "On n'fait que ce pourquoi on est là...". Et humble, en plus.
  De l'événement déroulé plus haut, je n'aurais appris son existence que par des bribes de paroles par-ci par-là. À vrai, je n'y avais aucunement participé, et, si le personnel était plus discret, je n'en aurai jamais rien su. Car, pendant tout ce temps, je me trouvais tranquillement assis, dans la bibliothèque, mon seul refuge parmi ce monde de nobles, où je me sentais un minimum chez moi, et pouvait respirer tranquillement. N'ayez pas croire que ce sentiment est dû aux livres qui m'entourait, même si cela se révélait être un divertissement conséquent, quand l'on arrivait à suivre le fil de l'histoire, s'il y avait une histoire. Non, ce sentiment était surtout dû au fait que personne ne m'était les pieds dans cette pièce, hormis moi. Les "Maîtres" traitaient cette demeure comme secondaire, inutile, un petit plus ; leur fille passait son temps à l'extérieur, se baladant dans les chics rues londoniennes avec ses très riches amis ; les domestiques étaient tous plus ou moins illettrés. Je pouvais être sûr d'être seul et libre dans la bibliothèque. S'offrait alors à moi d'innombrables oeuvres "classiques", et, le plus important, du papier. Oui, depuis la belle époque de ma tendre vie urbaine, j'ai conservé ce remarquable talent pour le dessin, en plus de celui pour le vol, toujours aussi utile. Enfin, la bibliothèque était, pour moi, le lieu où je pouvais me livrer au dessin sereinement. Avec toutes ces enluminures dans les parages, je m'adonnais autant à la création originale qu'à la copie pur et dur. Je me lançais même de petits défis, en saisissant des ouvrages au hasard, et en essayant le moment qui me tombait sous la main, selon la description de la page. Cela a donné vie à de nombreux paysages, à des personnages, des aventures, des pans de vies, et un sens, au livre. Il y en a certain dont je fus très fier, et un en particulier que j'ai toujours avec moi, accroché au-dessus de mon chaleureux foyer, et qui joua un second rôle assez important dans mon existence.
  Ma non-connaissance des événements était renforcés par l'organisation de la pièce. Elle était faite de sorte qu'aucun son ne pouvait entraver la relaxation de ses occupants, les murs et les étagères emplies de livre isolant toutes les sonorités extérieurs à la pièce. Et si cela ne suffisait pas, que les alentours été suffisamment bruyants pour pénétrer dans le magnifique fort qu'était la bibliothèque, on pouvait mettre en rouge le gramophone, une toute jeune invention venant des lointaines contrées du Nouveau Monde, afin de passer de la musique et recouvrir le bruit avoisinant. Bien sûr, il n'était pas des plus accessibles, et j'avais eu bien de la chance de pouvoir en disposer d'un. Je ne sais même pas si il y en avait plus d'une centaine en Angleterre à ce moment-là. Enfin, bref, tout était fait pour que la lecture ne soit pas interrompue.

JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant