2. I've been thinking too much, help me

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La femme fixa Tyler de son regard bienveillant, envers lequel il était impossible d'éprouver autre chose que compassion et paisibilité.

— Si on se fie à ce que tu m'as dit jusqu'à maintenant, serais-tu capable de me dire pourquoi tu sens soucieux aujourd'hui? demanda-t-elle doucement.

Et pour une fois, le garçon se sentit à l'aise de répondre la vérité, sachant qu'ici, il ne serait pas entendu, mais écouté.

— Parce que je pense trop.

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Si les "nouvelles perspectives" constituaient toutes un choix aussi excitant que mâcher une banane du coin de la bouche, le dos appuyé contre son casier et bien évidemment seul, Tyler aurait tout aussi bien pu rédiger 5000 mots à ce sujet, étant l'expert numéro 1 (et probablement le seul) de la matière.

C'était risible, mais aussi tristement vrai. En l'espace d'à peine une semaine, il avait carrément recréé son ancien portrait d'étudiant trop chochotte pour dîner entouré d'une centaine de personnes, retrouvant la merveilleuse familiarité des casiers rouillés, des sols jonchés de déchets et du concierge qui passait avec désespoir à toutes les quinze minutes. Mais tout de même meilleure qu'une foule de gens et son vacarme assourdissant, cette solitude lui permettait pour une fois d'entendre ses propres pensées et lui convenait parfaitement.

Tyler prit une dernière bouchée et lança la pelure dans la poubelle au bout de la rangée, le bruit sourd retentissant dans le couloir vide. Puis, il replia ses jambes et posa le menton sur ses genoux, retombant dans son état nuageux.

Même si Tyler connaissait les causes de cet isolement volontaire, il ne pouvait pas exactement définir quand il avait commencé à le considérer comme une habitude. Et honnêtement, il préférait suivre les conseils de la psy et ne pas y penser.

Mais ne pas penser à quelque chose était, pour Tyler, une tâche qu'il considérait des plus ardues. C'est comme si on vous demandait d'arrêter de respirer à l'instant: peu importe combien de temps vous retenez votre respiration, elle finira toujours par revenir, car c'est un mécanisme naturel essentiel à la survie qui se boucle sur lui-même indéfiniment. Mais bien sûr, c'est seulement le cas si vous n'êtes pas sous l'eau ou avec une corde autour du cou.

Il en allait de même pour le jeune écrivain: plus il essayait d'éloigner les images de son frère, de l'homme aux mains gigantesques, des visages moqueurs des gens de son ancienne école, plus elles tournaient vite et le narguaient jusqu'à le rendre malade.

Alors, pour y échapper, Tyler pensait encore plus.

L'idée même du mécanisme de la pensée, s'éloignant seulement pour revenir s'écraser au départ comme les vagues revenant continuellement sur la plage, était fascinante. Plus jeune, le garçon se demandait souvent si il était le seul à éprouver cet intérêt particulier. Si c'était le cas, on ne lui en avait jamais fait part... sauf avec Marina. Mais ça, c'était aussi dans le passé.

— Qu'est-ce que tu fais tout seul?

Tyler sursauta presque à l'entente de cette voix féminine qu'il avait souvent entendu dans la dernière semaine, une voix assurée, grave, et qui laissait soupçonner un intérêt pour le chant.

Il tourna la tête pour se retrouver face à une fille aux cheveux bleus clair et portant un chapeau étrangement choisi pour cette journée grisâtre qui se laissa tomber à côté de lui. Oh, elle ne savait évidemment rien du garçon qui rasait silencieusement les murs depuis une semaine, mais lui la reconnaissait maintenant à première vue: Ashley Frangipane, une fille farouche et imprévisible qui insistait à se faire appeler Halsey (par souci d'esthétique, qu'elle disait, même si Tyler n'y voyait aucun intérêt) et qui fumait sûrement du pot entre les heures de cours.

Double Je [SLOW UPDATE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant