Chapitre 1

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Un mois plus tôt


Martin inspirait profondément l'air matinal qui lui brûlait les poumons alors que les semelles usées de ses baskets battaient le pavé avec légèreté. Le soleil n'était pas encore levé et la ville n'avait pas commencé le ballet incessant qui ne cesserait de l'agiter une fois ses habitants lancés dans leurs activités diurnes. C'était son moment préféré de la journée, ces heures silencieuses, délestées du fardeau des oiseaux de nuit, partis purger leurs excès, lui laissant les rues libres pour ses planques ou, comme aujourd'hui pour son jogging matinal.
Il avait une affection sincère pour ces rues bétonnées, bordées par les maisons et immeubles que le temps avait commencé à façonner. Il n'était pas d'ici, arrivé depuis 5 ans, mais il avait eu l'impression en descendant de son train que la ville l'attendait, qu'elle l'avait adopté et réciproquement. Cette sensation ne l'avait jamais quitté même dans les moments les plus difficiles.

Cette bouffée d'affection fut vite chassée par des pensées plus pragmatiques comme les affaires qu'il avaigt en cours et qu'il devait traiter. Pour l'affaire Johnson les preuves étaient mises en sûreté dans le coffre de son bureau depuis cette nuit. Une sombre affaire d'adultère et de contrat de mariage qui allait créer des ravages c'était certain. C'était loin d'être l'aspect le plus reluisant de son métier mais malheureusement c'était celui qui payait le plus... Ce qui le consolait un peu était le fait que le mari qu'il avait dû suivre et épier pour collecter les preuves de son manquement à son contrat de mariage, avait eu un comportement déplorable avec chaque personne qui avait croisé son chemin. Non content de tromper sa femme sous son nez avec sa meilleure amie, il avait l'air d'être un homme imbu de lui-même et exécrable, écrasant tous ceux qu'il estimait en dessous de lui et les traitant avec un mépris souverain, sa propre femme y compris. Elle lui avait d'ailleurs précisé lors d'un de leurs rendez-vous. "S'il apprend que je le fais suivre, il me détruira, me réduira en cendres. Je veux juste la garde de mon fils, pour que je puisse l'obtenir, je dois juste prouver qu'il a rompu notre contrat de mariage et surtout, sa clause de fidélité." Cela n'avait pas été difficile à prouver.

"Un vrai connard en fait." Pensa le jeune homme alors qu'il tournait au coin de la rue pour rejoindre son bureau et, à l'étage du dessus, son appartement. Il s'arrêta presque net en voyant du mouvement devant l'immeuble qui faisait face à au sien. Une agitation inhabituelle, surtout à une telle heure, prenait place devant la majestueuse porte d'entrée, vernie de rouge.

Le regard de Martin se posa devant le gigantesque camion qui occupait une bonne partie de la rue déserte en cette fin de nuit. Il jeta un coup d'œil à sa montre. 5h08. Ses insomnies chroniques avaient encore fait des siennes et c'était tant mieux. C'était elles qui lui permettait de garder un oeil sur le quartier, surtout la nuit. Chaque trafic qui se nouait sous l'éclat blafard du lampadaire au coin de la rue, chaque prostituée qui se glissait dans une voiture, rien de lui échappait. Surtout pas un emménagement en pleine nuit, comme cela avait été le cas, quelques semaines  plus tôt. Une tasse de café noir à la main, dissimulé derrière les persiennes de son bureau, il avait observé le ballet fluide et incessant des déménageurs transportant de lourds cartons à l'intérieur du petit immeuble alors que les grands carrés d'or au dernier étage balayaient la rue de leurs reflets. Puis sortant d'une berline noir, un éclair argenté fut le seul aperçu qu'il eut du propriétaire des lieux, suivi d'une montagne humaine impeccablement cintrée dans un trench coat brun. Un peu plus tard, alors que le camion avait déserté la rue depuis longtemps et que sa tasse vide reposait sur le bord de son bureau, une silhouette fluide mais imposante s'était détachée dans la seule fenêtre encore éclairée de l'appartement situé au dernier étage et un frisson d'alerte s'était déclenché sur la nuque du détective. Sans se l'expliquer, il avait reculé de quelques pas, comme pour éviter d'être vu avant de se rabrouer sèchement et de mettre ça sur le compte de la fatigue et de la surprise. Après tout personne ne pouvait le voir à cette distance, et aucune lumière ne brillait dans la pièce pour trahir sa présence en projetant son ombre.

La ville aux mille ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant