La ville aux mille ombres

Brumes

Martin mit un temps infini à revenir à lui. Il avait l'impression de flotter dans une eau sombre et glacée. Ses yeux refusaient de s'ouvrir. Il entendait le bruit sa propre respiration dans les ténèbres puis un mouvement au dessus-de lui et un souffle délicieusement sucré balaya son visage. Il eut l'impression qu'on lui caressait le front mais le contact était si léger qu'il ne pouvait être sûr de sa véracité. La présence disparut soudain et il sombra de nouveau dans l'inconscience.

Il se réveilla en sursaut, tous ses sens lui revenant en même temps. Ses yeux s'ouvrir avec force, comme des rideaux qu'on tire pour laisser entrer le jour. La pièce restait dans la pénombre même si le soleil levant se matérialisait en traits dorés qui zébraient les murs et le sol de la chambre. Son cœur battait à la chamade alors qu'il s'asseyait prudemment sur son lit. Il regarda autour de lui, un peu perdu. Les souvenirs de la nuit lui revenaient au compte-goutte. La visite au commissariat, Hugo, Guillaume, son enquête, l'homme du bar... L'homme du bar! Il se retourna brusquement vers l'autre côté du lit, trop rapidement et la tête lui tourna. Le lit était vide et il en ressentit une pointe de déception. Il ne se rappelait pas de toute la nuit mais le souvenir du plaisir vif que l'autre homme lui avait provoqué se ressentait encore dans son corps. Il se sentait étrangement bien même si sa tête lui semblait lourde et son corps étrangement fatigué. Il regretta de pas se rappeler de l'intégralité des heures passées. Il passa une main alourdie dans ses cheveux en soupirant. Un rapide coup d'œil à son réveil lui apprit qu'il s'était réveillé plus tard que d'habitude même s'il était à peine 7 heures. Il se leva lentement, et dirigea péniblement vers la salle de bain. Ses jambes cotonneuses le portaient difficilement et il soupira de soulagement en s'appuyant sur le lavabo. La lumière lui sembla trop vive et il plissa les yeux, dérangé par l'éclat qui éblouissait la pièce. Il passa de l'eau froide sur son visage et puis se glissa sous la douche, laissant l'eau chaude caresser sa peau et détendre ses muscles. Quelques minutes plus tard, il ressortit et se sécha rapidement. Alors qu'il s'apprêtait à se raser, son attention fut captée par le reflet dans son miroir. Deux traces rouges à la base de son cou. On aurait dit des piqûres, comme celles que laisserait un moustique. Non, une araignée plutôt, se corrigea le détective, on dirait une morsure d'araignée.

Étrangement cela ne le démangeait pas et il posa prudemment sa main sur la micro-plaie qui entachait sa peau. Soudain, la vision de l'homme aux cheveux poivre et sel plongeant dans son cou et le plaisir de sentir ses dents sur sa peau lui revint en pleine figure en même temps qu'une étincelle de désir parcourut sa peau à ce souvenir. Les deux points rouges venaient de lui, c'était certain. Il devait avoir des dents sacrément pointues pour laisser une telle marque. Il se rappelait juste qu'elles avaient semblé particulièrement blanches en contraste avec ses lèvres d'un rose profond, presque rouge, mais il n'y avait plus pensé quand ces mêmes lèvres avaient capturé les siennes. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas désiré quelqu'un comme il avait eu envie de cet homme hier soir. C'était si intense que cela l'effrayait presque maintenant qu'il n'était plus là pour monopoliser ses sens. Cela lui ressemblait peu de se laisser ainsi, à tous les niveaux. Jamais il n'avait perdu le contrôle au point de ne plus se rappeler des événements d'une soirée. Il se promit qu'on n'y reprendrait plus. De toute façon, même s'il avait eu son nom ou la possibilité de revoir l'homme qui l'avait fait chaviré ainsi, il ne pouvait se permettre de diviser son temps. Il fallait retrouver Pana, Etienne comptait sur lui. Il en ressentit une pointe de regret malgré tout.

Une fois habillé, il se saisit de son téléphone et eut une moue coupable en voyant les messages de Félix s'affichant sur son écran. Le jeune homme s'était inquiété de le voir boire plus que d'habitude et partir avec un inconnu. Martin décela la jalousie sous ses mots et la culpabilité accentua sa prise sur son estomac. Il s'en voulait de continuer  ainsi à jouer avec les sentiments de Félix, il savait qu'il ne pouvait donner plus au jeune homme, il en était incapable.. Il lui envoya un message rapide pour le rassurer puis descendit vers son bureau. Son enquête l'attendait.. et Hugo aussi.