La ville aux mille ombres

Des murmures dans la nuit

Martin poussa une tasse de café brûlante devant son ami, payant une attention particulière à ses traits tirés, auxquels il avait peu prêté attention. Il s'assit sur le coin de son bureau, fixant son expression attentivement .

"Raconte-moi tout depuis le début, pourquoi penses-tu que Pana a disparu? Et pourquoi est-il venu en ville?
- Il est venu habiter ici il y a trois mois. Tu te rappelles qu'il disait que son rêve était d'être comédien? Il en parlait tout le temps depuis qu'il est petit. Alors après ce qu'il s'est passé...." Il adressa un regard en coin au détective pour jauger sa réaction. La référence aux événements qui avaient brisé sa vie firent l'effet d'une douche glacée à Martin. Il baissa la tête quelques secondes pour se redonner une contenance.
"A propos de cela, comment vont.."
- Tes parents? Ils vont bien.. Enfin je crois. Je ne les vois pas beaucoup depuis tout ça. Je suis désolé.
- Tu n'as pas à t'en faire. L'important est qu'ils soient en bonne santé. Le reste ne me concerne plus. Donc.." reprit-il après un bref silence. "Pana a décidé de quitter notre petite ville pour venir ici.. J'imagine que ça s'est mal passé avec ton père?"

Etienne se gratta la nuque, gêné.

"Mon père est comme le tien. Je ne l'ai jamais vu aussi furieux que lorsque Pana lui a appris la nouvelle. Il s'est mis dans une colère noire, il l'a secoué méchamment. Ça a dégénéré, il a levé la main sur lui. Pana a claqué la porte, il s'est réfugié chez un de ses amis et il a pris ses affaires le lendemain pendant que les parents étaient au travail. Ils ne l'ont pas revu. Moi oui. c'est moi qui l'ait accompagné à la gare ce jour-là. Il m'a appelé dès qu'il était installé, je sais qu'il travaillait dans un bar pour gagner sa vie, qu'il faisait de la scène le soir pour se faire connaître. Il y a un mois, il m'a appelé tout heureux, pour me dire qu'on lui avait proposé la chance de sa vie. Il n'a rien voulu dire, a insisté que c'était top secret. Et après plus rien. Son portable va direct sur son répondeur, rien sur ses réseaux sociaux. J'ai contacté son colocataire, appelé à son travail pour demander s'ils savaient où il était. Quand ils m'ont dit qu'ils n'en savaient rien, j'ai su que quelque chose n'allait pas. J'ai demandé à mes parents de signaler sa disparition au commissariat mais ils ont refusé. Vu la façon dont ils se sont quittés, ça m'a pas surpris.

- Mais tu as refusé de laisser ça comme ça.

- Ouais.. j'ai fait ma valise et j'ai décidé de venir ici et d'y rester tant que j'aurais pas retrouver mon frère. J'ai trouvé un boulot dans un café pas loin de là où il habitait. J'espérais le voir, le croiser dans le quartier..." Sa voix se brisa soudainement et il fixa son regard sur les bords du tapis élimé qui recouvrait le sol sous le bureau du détective. Martin ne dit rien, sachant que son ami n'avait pas besoin de sollicitude mielleuse mais d'un peu de temps pour gérer ses émotions. Il le savait fortement attaché à son frère, ils se soutenaient depuis leur tendre enfance malgré leurs dix ans de différence. Il savait à quel point Etienne se sentait responsable de Pana et comme il devait se sentir coupable.

- Je sais ce que les gens pensent... ce que les flics pensent. Mais c'est pas une fugue Martin. Je connais mon frère. Quelque chose ne va pas. Il ne serait jamais parti sans me dire où il allait..

- Je sais." Il posa une main réconfortante sur l'épaule de son ami de toujours. Il ne lui dirait pas maintenant mais il avait de bonnes raisons de s'inquiéter. Les nouveaux venus dans la ville avaient la fâcheuse tendance à disparaître sans laisser de traces. Les habitants l'avaient appelé "La malédiction des arrivants fantômes." Il avait un mauvais pressentiment à présent et il évitait soigneusement de croiser les yeux chocolats de son désormais nouveau client.

-Est-ce que tu vas m'aider?

Martin savait à quel point cette demande devait lui coûter malgré leur amitié. Il n'était jamais facile de reconnaître qu'on était impuissant.