57ème jour

18 2 5
                                    

Peut-être suis-je la réincarnation de Socrate ? 

Non pas que je sois bonne en philosophie, mais plutôt dans nos convictions communes. Quand, parfois, ma propre mort est remise en doute par ma vie et par mes sentiments, je pense à Socrate. En réalité, je pense plus précisément à sa mort. Condamné, sa cité lui a laissé le choix entre boire un poison mortel, et fuir la ville. Entre la mort et la vie, il a choisi la mort. Car pour lui, fuir sa cité, fuir les lois de sa ville et tout ce qui avait contribué à le faire grandir lui paraissait inconcevable. Ces mêmes lois qui le condamnaient à mort, l'avaient construit. Il ne pouvait doncc renoncer à ce qu'il était en quittant sa cité. 

Voilà comment je me sens. Ce monde m'a fait telle que je suis, alors si je ne suis plus capable de vivre dans un tel monde autant mourir, car il m'est impossible de le quitter sans me quitter moi-même. 

Alors même que je me répétais son histoire comme une maxime, la porte de l'appartement s'ouvrit. Il n'était que 10 heures du matin, et Achille ne devait rentrer que dans la soirée. Ca ne pouvait être que Jason. 

Je sortis alors de ma chambre avec plus d'impatience que je ne l'aurais voulu. Il était dans l'entrée, immobile, comme s'il s'attendait à me voir débouler sur lui. Mais son regard fuya le mien. Il baissa d'abord les yeux, puis déposa ses clés dans le vide poche. 

Il prit une inspiration, courte et rapide, et leva les yeux. Son regard resta accroché au mien un moment avant qu'il le prit la parole:

-Je sais que ça a plutôt mal commencé entre nous deux.

J'attendis la suite, mais il ne continua pas son propos. Il se contenta de garder le contact avec mon regard, comme si pour lui, c'était le seul contact qu'il pouvait entretenir avec moi. Je pris alors la parole:

- Plutôt, oui.

Même si comme le disait Achille, je n'étais qu'une gamine, je lui en voulais toujours, et pour un tas de raisons. Il sembla comprendre mon énervement, et avança vers moi de quelques pas:

-Tu veux bien qu'on recommence ? 

Sa question me perturba, car je n'avais pas de réponse à lui donner. Au fond de moi, tout n'était que contradictions et nébuleux. Sans attendre plus longtemps, il s'avança encore et se planta devant moi. Une nouvelle facette de sa personnalité m'apparut alors; il était nerveux. Comme s'il avait peur que moi aussi je le rejette. 

-Tu vois mon nez ? C'est une sorte de nez magique. C'est un nez RESTART. Si tu appuies dessus, on recommence à zéro.

Même s'il avait peur d'être encore une fois dans sa vie rejeté, il me laissait le choix. Et cela me terrifia. Ca me fit peur d'avoir autant d'impact sur quelqu'un. Ca me fit peur que mes actions et mes choix puissent changer l'avenir de quelqu'un d'autre que moi-même.

-Tu me parles comme à une gamine. Tu fais peur sérieux avec ton nez...

Enervé, il tourna la tête et se mordit les lèvres. Il allait se détourner de moi, prenant ma moquerie pour une réponse négative. Mon instinct prit alors l'ascendant sur moi, et lui donna la réponse qu'il attendait.

Doucement, je tirais sur le bas de son pull, me hissait sur la pointe des pieds, et appuyais sur son nez avec mon index. 

Son masque d'amertume sembla s'effriter, et il déposa un baiser sur ma joue avant de rejoindre sa chambre:

-A demain, Saleté.

Ce jour là.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant