dix-septième jours du mois de février, première heure du dix-septième jours du mois de février.
les ombres défilent devant le corps immobile de junhong. elles marchent, en sautillant. elles dansent, en riant. elles suivent le rythme.
junhong, lui, est sur ce canapé, à côté de jiyong.
jiyong a l'esprit ailleurs. l'alcool a déjà empoisonné son corps. il fume, sous le regard silencieux du plus petit.
junhong n'est pas venu à cette joyeuse soirée parce qu'il boit ou fume. il n'est pas venu parce qu'il a des amis, ici. il est venu parce que jiyong.
il soupire et s'enfonce dans le canapé. il ferme les yeux, toussotant à l'odeur horrible qui émane de tous ces corps. il tente de se concentrer, mais le décor tourne autour de ce canapé.
il entend le rire de Jiyong qui vient ébouriffer ses cheveux bruns. junhong ouvre à nouveau ses yeux et interrogent du regard le plus âgé. mais il comprend qu'il n'y a pas de réponse.
alors, il dévisage jiyong dans le silence. il redécouvre les traits de son visage. ses lèvres sur la cigarette, ses yeux sur le corps d'une femme, mais sa main sur la cuisse de junhong.
le cadet l'a toujours observé en retrait. sans rien dire, ni faire. jiyong est le grand frère de cette rue. il est aimé, et admiré. junhong a toujours été jaloux de lui. jaloux de sa facilité à être lui-même. il l'a admiré. longtemps. puis jiyong a fini par le remarquer. junhong l'a regardé trop longtemps par la fenêtre, et jiyong a croisé son regard.
il a toqué à la fenêtre du gamin de dix ans habitant au ré-de-chaussé. junhong a ouvert et ils ont échangé quelques mots.
« eh, gamin, tu veux une glace ?
- euh..
- j'en paye déjà aux autres petits donc une de plus ou de moins.
- je veux bien.
- quel parfum ?
- citron.
- j'arrive.
- merci. »ça a été idiot. mais Junhong se souvient du bonheur qu'il a éprouvé. et ils se sont revus plusieurs fois à cette fenêtre. jiyong tenait compagnie à junhong, qui détestait sortir.
junhong soupire et pose prudemment sa tête sur l'épaule du rêveur. rêveur, plutôt que saoul. en paix, plutôt que seul. spectateur, plutôt que gamin-à-sa-fenêtre-incapable-de-s'intégrer. junhong aime embellir les choses. tout est laid à ses yeux, alors il tente de colorer cette laideur. pour la dissimuler sous des couleurs.
junhong n'est pas asocial ou malade. il a simplement du mal avec les autres. il se sent bien dans sa chambre. il se sent bien avec jiyong. il se sent bien avec sa mère. il se sent bien avec son poisson rouge.
avec le temps, ce comportement s'est estompé.
enfin non.
avec jiyong, ce comportement s'est estompé.« hyung, pourquoi tu ne m'aimes pas ? »
junhong se souvient d'une chose : les personnes empoisonnés par l'alcool sont plus honnêtes.
il en profite pour des réponses.« tu es un garçon, et tu es trop jeune.
- non, je suis junhong.
- un garçon trop jeune.
- juste junhong.
- alors moi, je suis Jiyong, un garçon trop vieux.
- juste jiyong.
- gamin, j'ai pas l'âme d'un étudiant en littérature comme toi. j'ai pas ta vision des choses. je sais juste que je veux pas être un homosexuel pédophile.
- tu me fais mal.
- c'est facile quand on est le plus jeune. »junhong se redresse.
Un obus vole dans l'air.
et claque jiyong.
« tu penses que c'est facile d'être junhong, le petit garçon de la fenêtre du ré-de-chaussé, incapable d'aller vers les autres, et pourtant bien amoureux de jiyong, dix-neuf ans, l'extraverti de la rue, qui ne ressent rien pour junhong ? tu penses que mon rôle est plus simple que le tien ? que jouer le gamin de douze ans attiré par plus âgé, c'est simple ? que te ramener ce maudit bouquet de roses chaque année, c'est pas bien compliqué pour moi ? non, c'est sûr, je suis junhong. mon rôle, c'est celui de la personne qui aime en toute simplicité. t'entendre me rejeter, chaque année, c'est encore plus facile, si tu savais.»
jiyong n'a jamais entendu junhong aligner autant de mots. il ne l'a jamais vu esquisser le moindre acte brusque. il ne l'a jamais entendu se plaindre de son rôle.
il regarde le cadet dans les yeux, et amène doucement ses mains tremblantes vers ses épaules. puis, il le renverse sur le canapé. ses lèvres s'approchent de son oreille, et il murmure :
« et toi, tu penses que c'est comment, de devoir dire non chaque année au gamin au mauvais rôle ? »