Scottish Memories

Chapitre 6

- Non mais vous vous rendez compte ! Mais vous êtes complètement fous ! D'abord toi, Alexa, qui te prend pour je ne sais quelle magicienne en espérant le sauver avec du papier –du papier, n'importe quoi ! Et voilà que ton ami se réveille gentiment comme si de rien n'était et tient des propos farfelus. C'en est trop ! Et vous, Geillis... Vous me décevez. Mais d'où viennent toutes ces choses que vous semblez connaître par cœur ? Je...

- Mr Maclean, calmez-vous je vous prie. Je vais tout vous expliquer, mais je crois qu'une tasse de thé sera la bienvenue. Mettez-vous à l'aise, je reviens.

Sur ce, Mrs Cameron quitta la pièce d'un pas rapide s'apparentant presque à une fuite. Grand-père, secoué par les évènements, s'assit dans son fauteuil préféré près de la fenêtre et tint sa tête à l'aide de sa main. Ce geste, je le connaissais bien : c'était ce qu'il faisait lorsque le souci s'emparait de lui ou qu'il tentait de calmer sa colère. Ce qui était le cas, apparemment. Quant à moi, je me retournai vers Logan, soucieuse de son état de santé. J'étais presque sûre de ne pas avoir trouvé l'équilibre dont Mrs Cameron parlait, et pourtant, il était assis à mes côtés sur ce grand canapé, bien vivant. Il n'avait pas perdu de souvenirs, ni rien. Et sa blessure... Je me penchai rapidement vers lui et soulevai son t-shirt incroyablement rouge. Rien. Pas une seule trace des récents évènements. N'en croyant pas mes yeux, je caressai du bout des doigts l'endroit où sa chair était ouverte quelques temps plus tôt. Je sentis une petite bosse, une légère cicatrice. Cela prouvait donc que je n'avais pas rêvé, cette épée qui avait transpercé le ventre de Tomas il y a des siècles avait bien failli tuer celui que j'aimais. Je levai mon visage vers lui, soulagée que tout ça soit terminé et que nous ayons quelques jours ou semaines devant nous avant que Dougal ne commence à nous harceler à nouveau. Je ne craignais pas pour moi, je ne laisserai jamais cet homme répugnant m'atteindre, cette âme vengeresse qui n'avait rien à faire ici. Mais j'avais peur de ce qu'il pourrait découvrir, de la façon dont il essayerait de m'atteindre. Il était lié à Logan... Et s'il menaçait de se suicider afin de me forcer à le suivre ? Ou de faire du mal à ceux qui me sont chers ? A force de jouer tous les scénarios possibles et imaginables dans mon esprit, j'avais très mal à la tête. Je soupirai bruyamment et me levai, à la recherche de ce maudit journal. Décidément, les vacances d'été n'étaient pas ce que j'avais imaginé. Logan, sans doute surpris par mon soupir, demanda :

- Al, qu'est-ce que tu fais ? Attendons Mrs Cameron et ses explications. Tu... tu n'as pas l'air bien. Assieds-toi !

- Mais comment veux-tu que j'aille bien ? répliquai-je vivement. Tu as failli mourir, celui qui était mon père lors d'une autre vie veut une descendance avec moi, je suis la réplique de mon ancêtre qui vit en moi, toi aussi d'ailleurs, tout, tout va mal ! Alors je vais prendre ce journal, le lire jusqu'au bout et...

Je stoppai brutalement, le journal dans les mains. Je l'avais retrouvé au sol, grand ouvert. Mais... Alors que je cherchai la page de notre dernière lecture, je réalisai que tout était blanc. Vide. Plus rien, pas un seul mot n'apparaissait. A cours de mots, moi aussi, j'ouvris la bouche pour continuer ma phrase mais me ravisai. Comment... ? Tout avait disparu ? Ne me voyant pas répondre, Logan vint à mes côtés et me prit le journal des mains. Impressionné à son tour, il le feuilleta doucement puis de plus en plus rapidement. Il prit alors la parole :

- Mais pourquoi ? Pourquoi est-il vide ? Je ne comprends pas, ça ne peut pas être la fin de l'histoire !

Soudain, je réalisai que ce que Mrs Cameron nous avait appris lorsque Logan nous quittait aurait dû se trouver dans ce journal. Le reprenant des mains de ce dernier, je tentai d'expliquer :

- Quand tu as perdu connaissance, Mrs Cameron nous a récité tout un passage du journal. Pourquoi n'est-il pas là ? Elle n'a pas pu l'inventer !

Il feuilleta quelques instants encore le journal, puis s'agita soudainement. Il tourna une page dans un sens, puis la retourna dans l'autre. Surpris, il m'attrapa le bras pour me faire part de sa découverte. Seulement, mon poignet toujours blessé se rappela à moi lorsque Logan le frôla involontairement. Je criai de surprise et de douleur, et me jetai sur lui. De quel droit me touchait-il ainsi ? Je n'étais pas sa chose, pas sa propriété ! J'étais déjà morte par sa faute dans une autre vie, alors dans celle-ci j'allais redresser les torts qu'il m'avait faits. J'allais le punir, le faire souffrir comme j'avais souffert l'âme enfermée dans un journal. Maintenant, j'étais libre, et je comptais bien en profiter. Faisant preuve d'une force que je ne me connaissais pas, je le poussai au sol et montai à califourchon sur son torse, assise sur l'endroit de son ancienne blessure. Lui caressant la joue, je me penchai vers lui comme pour l'embrasser. Incrédule, il ne bougeait plus, mais ses réflexes se réveillèrent lorsque, à la place du contact de mes lèvres, il sentit mes dents lui transpercer la joue. Me repoussant de toutes ses forces, il hurla :

- Mais ça va pas la tête ! Al, pourquoi tu fais ça ? Tu m'as fait mal !

Comme accablée de remords, je me levai et lui tendit la main. Pensant ma crise passée, il accepta jusqu'au moment où je plantai mes ongles dans son poignet. D'une voix qui ne semblait pas mienne, je m'énervai subitement :

- Mais à quoi tu pensais ? Comment as-tu pu croire que tu aurais le dessus, que le clan Maclean ne se vengerait pas ? Tu as voulu voler ma fille, mon unique enfant, et pourrir notre sang en le mélangeant à celui d'un Cameron. Maintenant, c'est mon tour de te voler l'être qui t'est le plus cher. Je te vole ma fille, mon brave. Peut-être qu'elle souffrira un peu, ou beaucoup, mais tant pis. Elle aussi a voulu s'enfuir à ton bras, et tout ça dans mon dos ! Sache que tu ne la récupéreras jamais. Elle a été tienne bien trop longtemps. Je me demande même ce qui me retient de te tuer... Non, ça ne serait pas drôle. Après tout ce temps coincé entre la vie et la mort, mon âme a quelque peu envie de s'amuser... Alors jouons, veux-tu ?

Logan, la respiration saccadée, mais néanmoins prêt à en découdre, se leva et prit la parole, me faisant face :

- Es-tu l'âme vengeresse de Dougal Maclean ? C'était ça, ton plan ?! Me forcer à voler son sang dans le papier parce que tu savais que nous voulions, elle comme moi, que je survive ! Tu l'as empêchée de trouver l'équilibre pour qu'elle soit désespérée, j'en suis sûr. Mais quelle ordure ! Tu mérites de mourir dans d'horribles souffrances pour expier tes crimes !

- Oublierais-tu, mon cher Tomas, ou plutôt Logan, que je suis déjà mort ? Et surtout, si je meurs, elle meurt aussi. Après tout, j'habite son corps... Oh ! J'oubliais. Tu fais partie de notre petit groupe, pas vrai ? Tu es lié à moi ! Mais quel tête en l'air je fais ! Bien sûr que tu ne me tueras pas. Tu tiens trop à elle... Et peut-être un peu à toi aussi. Un peu d'amour propre, ça ne peut pas faire de mal !

Je pouvais regarder l'élu de mon cœur de mes propres yeux, mais c'est comme si mon corps n'était plus le mien. Je voulais réagir, le rassurer, lui dire que je n'avais pas mal. Mais j'étais réduite à l'impuissance par cet homme que j'appelais père.

Soudain, Mrs Cameron entra dans la pièce, des tasses de thé à la main. Pris de court par son entrée, Dougal s'exprima une dernière fois par ma bouche :

- En tout cas, Tomas, tu as de la chance. J'aurais adoré jouer avec toi un peu plus, mais comme tu le vois, ça ne sera pas pour aujourd'hui. Comme par hasard, c'est encore une Cameron qui nous dérange... Je veux juste que tu saches, que vous sachiez tous que la petite Alexa que vous allez retrouver ne sera pas la même qu'avant. La perte de son sang aura quelque peu... altéré certaines parties d'elle-même. Dont je me suis « nourri », bien entendu.

Mrs Cameron, laissant le thé sur une table quelconque, se précipita sur moi dans l'espoir de me faire taire. Mais je ne pouvais pas ! Dougal avait une emprise impressionnante sur moi, et je n'avais pas la force de lui résister. Bon sang ! Comment en était-on arrivés là ? Je n'eus pas l'occasion de penser plus avant, car l'énorme étau qui enserrait mon crâne disparut aussi vite qu'il était arrivé, me laissant tremblante et terriblement affaiblie, sur le point de m'évanouir. Heureusement, Mrs Cameron arriva à temps pour me rattraper et me plaça en position allongée sur le canapé. J'allais mieux, mais j'avais vraiment besoin de sommeil. Alors que mes yeux se fermaient petit à petit et que je partais pour le pays des rêves où, je l'espérais, on ne me réserverait pas de mauvaises surprises, je contemplais les cheveux gris de Geillis Cameron, ses yeux emplis d'amour et de compassion et ses mains parsemées de rides mais néanmoins douces qui déposaient un linge humide sur mon front. J'espérais de tout mon cœur que Dougal n'aurait pas la force de venir en personne avant un moment, ni qu'il réussisse à contrôler mon corps à nouveau. Je ne voulais pas faire de mal à Logan... Jamais. Je ne pourrais pas m'en remettre. Je m'en voulais déjà de l'avoir mordu et griffé un peu plus tôt... Alors qu'une larme roulait sur ma joue, je vis Grand-père s'approcher et la recueillir sur le bout de son doigt. Il me sourit, et je le lui rendis bien, avant de sombrer dans un sommeil profond.