Prologue

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Je n'avais pas de mains, pas de pieds ni de visage. Et pourtant, j'avais froid. Tellement froid que je sentais mes dents claquer. Où étais-je ? Impossible de le dire clairement. Mais je savais que j'avais quitté mon lit. Quitté ce havre de paix pour un champ de bataille où la vie combattait sans pitié la mort. Le cycle éternel des choses. Irrémédiablement, je me sentais tomber. Je m'éloignais de plus en plus de ce qui avait été ma maison, mon refuge. Et plus que tout, ma famille. Mon cœur semblait se déchirer en même temps que mes membres, et ma peau se craquelait tel un parchemin usé. Pourtant, je n'étais pas âgée. J'avais vécu, certes, mais pas suffisamment à mon goût. A vrai dire, je ne me pensais pas capable d'estimer avoir vécu de belles et longues années et être en paix au moment de mourir. Pour moi, tout était noir ou blanc. Pas de gris. Ma vie aurait pu être heureuse. Elle l'avait été, en certains moments. Mais, à cet instant fatidique, j'avais la certitude que le bilan de ce court temps de vie n'avait pas été joyeux. Oh ! Non. La douleur était mon amie, et le vent mon confident. Il me chuchotait ses secrets, et je lui confiais mes peines. Mais il m'avait trahie. L'amour n'existait plus que dans mes songes, et la longue agonie qui touchait à sa fin me confirmait cette certitude absolue : j'étais seule. J'avais beau avoir vécu en communauté, entourée, peut-être avais-je même été appréciée, mais ma conscience me hurlait que ce n'était pas le cas, que j'étais différente. Seulement, on finit tous de la même manière. Je le savais. Mais le savoir était une chose, en faire l'expérience en était une autre. Alors, dans un dernier geste, tirant mon ultime révérence, j'avais lâché prise sur un souffle, un mot unique.

Adieu.

Je sentais le vide appelant mon corps à lui. L'énergie qui m'avait été prêtée était aujourd'hui à rendre. Je virevoltais, dans des cercles infinis aux courbes charmeuses, comme lors d'une danse. Une dernière danse. Le temps m'était compté depuis toujours, mais je le ressentais aujourd'hui dans chaque battement de cœur, chaque seconde qui passait. Boum. Dix. Boum. Neuf. Boum. Huit... Et ainsi de suite. Mais malgré tout, le temps semblait s'être arrêté. Mon pouls était mon orchestre, et j'étais la chanteuse. J'entamai alors une dernière chanson, ma préférée :

Si tu peux endurer la torture jusqu'à en mourir

Et qu'elle ne brise jamais ta volonté.

Si tu peux supporter l'humiliation de ne plus être humaine,

Et sourire au visage de ton bourreau,

Que la paix soit tienne

Forte soit ton âme

Et sans peur tu mourras

Loin de ceux que tu aimes.

 Oh ! Oui, que le vent m'emporte. J'avais eu des secrets, des angoisses, mais aussi des joies. Et toutes les morts du monde ne m'y feraient pas renoncer. Je partais finalement sereine, quoique déçue de ce que cet arbre de vie m'avait offert. A l'instant où mon corps orangé touchait fatidiquement le sol, je ne pensais plus à rien. J'avais laissé mon regard glisser sur cet arbre qui étendait ses branches protectrices dans le ciel infini, et toutes ces feuilles qui vivaient, elles, insensibles à mon triste sort. Pourtant, elles allaient connaître le même. Dans quelques jours, quelques semaines. Car s'il y a une chose qu'il ne fallait pas oublier, c'était que nous finissons tous de la même façon. Dans une expression de béatitude, j'avais souri. Du moins, de la façon dont une feuille morte pouvait le faire. Car c'est ce que j'étais. Une feuille. J'avais vécu. Et j'étais morte. Je me sentais vide, dépossédée. Pourtant, de mon propre chef, j'avais laissé une partie de moi dans ce bout de papier. Je l'avais offert à la Providence, persuadée que tout était préférable à la mort. Ainsi, je mourais incomplète, et une partie infime de moi survivait. Car il fallait à tout prix que je transmette mon secret. Et ce journal, c'en est la clef.

Scottish MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant