Première lecture

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- Aileen Blair Maclean ! Viens ici tout de suite. Si ce que ton oncle Gordon me dit est vrai, alors tu es dans un sale pétrin. Approche !

J'ai honte d'être interpellée ainsi, devant tout le clan. Mais je suis la fille du laird, et je lui dois obéissance. Mais ce que j'ai fait... Ne mérite pas ce châtiment là. J'aurai dix-huit ans dans quelques mois, et je me sens prête à prendre mon envol. Seulement... Tout ne s'est pas déroulé comme prévu. A vrai dire, cela n'aurait pu être pire. J'étais aux alentours des écuries, sachant qu'à cette heure il n'y aurait personne. Personne sauf nous. Personne sauf lui... Tomas Ewan Cameron.

Malgré tous les jeunes hommes vivant au sein du clan Maclean, il a fallu que mon cœur choisisse un Cameron. Le plus bête, dans tout ça, c'est que nos familles respectives ne cessent de s'affronter dans de stupides batailles. A chaque fois, une raison différente, mais à chaque fois, les femmes nettoient tout  et s'occupent des blessés et des morts. Et cela serait inacceptable que la fille aînée du laird du clan Maclean marie le dernier fils Cameron ! Cela serait le pire des déshonneurs. Mon père ne voit pas au-delà : pour lui, si cette union ne lui apporte rien de concret, alors il n'est même pas question d'en parler.

Si je pouvais faire un vœu, là, maintenant, ça serait que les Cameron ne désertent pas les troupes d'Alexander MacDonald avant la bataille de Lochaber, en 1429. Mon père juge leur clan déshonoré, et discrédite encore plus mon projet d'union. Mais moi, je suis née en 1452, et je n'ai rien à voir avec ces actes passés. Bon sang ! Tomas et moi ne pouvons pas nous aimer, pas en ce monde. Mais jamais je ne l'abandonnerai. C'est plus fort que l'instinct de survie, et je suis bien incapable de m'en défaire. Cela me rend plus puissante, plus heureuse, tous mes sens sont exacerbés ! Mais quand il aura disparu, il ne restera plus qu'un grand vide là où il était avant. Et c'est ce dont souhaite me protéger mon père.

Perdue dans mes pensées, j'ai omis de répondre à l'injonction de mon père. Décidément, je ne cesse d'aggraver mon cas. C'est les yeux rivés au sol et la boule au ventre  que je souffle :

- Père, ce que vous a dit mon oncle Gordon est la vérité. Je... Je me trouvais bien aux écuries, dans le courant de l'après-midi, avec...

Mon père, Dougal Maclean, fronce les sourcils. Il attend que je continue, mais c'est au-dessus de mes forces. Avouer ma liaison avec Tomas Cameron, devant ceux qui m'ont vue grandir... Avec cela, je risque le confinement aux cuisines pour un mois ou deux... et un mari qui forgera une alliance convenable. Non, décidément, je ne parlerai pas.

Je perçois quelques raclements de gorge dans l'assemblée, mais personne n'ose vraiment parler. De là où je me tiens, j'entends le souffle rauque s'échappant des poumons de Dougal, ainsi que son pianotement impatient sur le bras de sa lourde chaise. Le feu crépite dans la cheminée, et quelqu'un dans le fond de la vaste salle se permet de terminer son dîner interrompu. Moi aussi, j'aurais voulu le finir...

- Mais vas-tu finir par parler ? Ou faut-il que je t'arrache moi-même les mots de cette satanée bouche ?! Je vais t'apprendre le respect, ma fille, mais cela ne sera pas sans sacrifices, explosa Dougal, mais si jamais j'apprends que ce stupide Leith...

- Tomas. Il s'appelle Tomas Ewan Cameron.

Je n'ai pas pu m'en empêcher. Maintenant, Dougal est prêt à déclarer  la guerre aux Cameron. Je n'ose même pas imaginer la quantité de whiskey qu'il a déjà ingurgitée, et si je continue, ce qu'il va faire en suivant ses impulsions agressives. Alors, pour calmer tout le monde, je proteste :

- Mais voyons ! Qu'allez-vous imaginer ? Qu'il m'a déshonorée ? N'ai-je pas toujours été digne de respect, et pieuse ? Non. Entre nous, ce n'est que de la passion. Et vous tous ici présents devriez faire preuve d'intelligence, et oublier les erreurs passées des ancêtres de Tomas. Je suis sûre que nos propres ancêtres ont commis bon nombre de meurtres et d'actes répréhensibles aussi ! En sommes nous pour autant indignes ? Non ! Je refuse de le croire. Chacun de nous naît pur, et je souhaite le rester en ne me laissant pas imposer mon avenir ! Voyez comme vivre d'après le passé est désagréable ! Cette conversation pourrait déjà être terminée, si seulement vous croyiez que Tomas et moi pouvons, chacun de notre côté, œuvrer pour l'alliance de nos deux clans. Imaginez la puissance que nous accumulerions ! Les terres que nous gagnerions, l'argent, la nourriture ! Et pourtant, vous refusez toujours que qui que ce soit s'approche des Cameron. Avec votre accord, ou non, j'irai. Eux sauront m'accueillir.

J'ai peut-être été trop loin, car les légers acquiescements dans la salle se transforment en rictus de désapprobation. Mon père, d'un signe de tête, ordonne à deux hommes beaucoup plus forts que moi de m'emmener dans ma chambre, et de m'y enfermer. Avant que je quitte la pièce, bouillant de rage, mon père annonce :

- Nous avons reçu des nouvelles d'Alexander MacDonald. Pour punir les Cameron de leur désertion en 1429, nous avons droit de possession sur la moitié de leurs terres. Aucun besoin d'une union, puisque j'ai décidé que nous mènerions une mission de reconnaissance sur ces terres, et qu'après-demain, nous les saisissions, de grès ou de force. Préparez-vous, car je doute que les Cameron se laissent faire...

Sans me jeter un seul regard, Dougal quitte la pièce d'un pas fier, suivi du regard de tout le clan et de ses invités. Quant à moi... J'imagine déjà le pire.


Scottish MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant