Simplement...banal.

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Notre premier regard. Ses yeux noirs, tellement doux...et pourtant si terriblement indifférents...

Je n'oublierai jamais notre première rencontre. Nous étions dans un bar cette nuit-là. Comme tous les vendredis, avec quelques amis de l'association, on se retrouvait à discuter de tout et de rien. Souvent de rien d'ailleurs. Les habitudes restent les mêmes loin de nos mégalopoles. Un bar reste un bar. Le vent reste du vent.

A ce moment-là, j'entendis du chahut derrière moi. Deux hommes, probablement aussi ivres l'un que l'autre, se querellaient pour je ne sais quelle raison. Faut-il donc un motif de nos jours pour faire de son voisin un ennemi temporaire ? Perdu dans nos problèmes, tout devient prétexte à être violent.

Un des deux sortit un couteau. Panique. Je sentis mon souffle se couper. L'homme au couteau avait ce regard noir de ceux prêt à en découdre peu importe les conséquences. Une fois un certain stade atteint dans l'émotion, notre cerveau reptilien prend le dessus. La raison s'efface et laisse place à un état purement animal. Qu'allait-il donc se passer ? J'eus à peine le temps de répondre à cette question quand, presque divinement, un troisième homme sorti de nulle part, la bière tenue nonchalamment à la main, passa, le fixa des yeux, s'arrêta et se pencha à son oreille comme pour lui chuchoter un mot, puis repartit. Le tout pendant un temps trop court pour glisser une phrase entière...et pourtant ! Les deux hommes étrangement ont arrêté leurs provocations et leur chahut. Visiblement tétanisés, le regard perdu cherchant sur le sol un espace sécurisant, les deux ennemis du soir ne l'étaient plus. Et quelque part, je me disais qu'ils n'étaient plus personne pendant quelques minutes.

Qui était-il ce héros ?

L'homme en question était vraiment très charmant. Son visage doux et un peu rond ne lui conférait pas de beauté certaine. Mais il n'était pas laid, ça c'est sûr. Ni beau, ni laid. Simplement...banal. De ceux qui ne dégageait aucune substance. De ceux qu'on ne remarquait pas en somme. Nos yeux glissant sur ses courbes plates, et son regard absent. Un homme ennuyeux et banal au possible. Et pourtant je ne pouvais m'empêcher de l'observer. Ce fut comme une obsession en moi, un désir intense...animal presque...totalement même !

Être possédée, voilà tout ce à quoi j'aspirais en le voyant. Était-ce cela le coup de foudre ? Connaitre cet homme était une nécessité, je ne pourrais pas vous l'expliquer. Tout en moi bouillonnait face à lui, la fièvre montait en mon sein. Je suffoquais presque sous le poids de mon indécision. Devais-je aller lui parler ? Quel vertige...quelle ivresse ! J'en attrapais la nausée à tellement y penser... la respiration haletante, je sentais mes forces me quitter peu à peu. Mes pensées oppressaient ma poitrine. Longue et douloureuse, chaque inspiration devenait un divin supplice. Mes mains moites tremblaient d'excitation à l'idée de converser avec cet homme. La fièvre laissa place à un froid mortel en moi. Je tuerai pour lui parler ! Oui j'aurais étranglé n'importe lequel d'entre vous pour une conversation avec lui ! « Est-ce que je suis assez bien pour lui ? Jamais il ne me parlera. » me désolais-je alors. Une tristesse s'empara de moi. Le monde en perdit tout son sens.

« Je ne sais plus qui je suis, pourquoi ai-je si mal ? Pourquoi ne vient-il pas me parler ? Pourquoi était-il si terrible avec moi ?... Il faut que je sache ! » J'avais peur de sa réponse, mais je devais lui parler ! C'est alors qu'étonnamment il fut le premier à me parler. « Je ne vous veux aucun mal », me susurra-t-il. Et tout se figea en moi. Je me réveillais comme sorti d'un terrible cauchemar. Je tentais machinalement de reprendre mes esprits, mais en vain. L'âme attirée par le néant, la vision trouble, je regardais cet homme s'éloigner de moi. Se dirigeant vers la sortie. Et, dans la foudre du moment, ce n'est plus un homme que je crus apercevoir. Mais un Prince. Un roi. Ou serait-ce...un animal ?

Casus BelliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant