Exemplaire

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Ça faisait deux semaines depuis ce perturbant dîner avec John, cet étranger qui m avait fait pâlir comme personne lors d'une premiere rencontre. Deux semaines pendant lesquelles, sans savoir exactement pourquoi, je l'évitais. Je ne saurais vous dire ce que je ressentais alors mais, instinctivement, tout criait en moi de ne pas l'approcher.

"Dangereux", voilà le premier mot qui me traversait l'esprit à chaque réminiscence de notre soirée. Il me faisait l'effet d'une araignée pour un arachnophobe. J'en frissonne encore aujourd'hui au moment où j'écris ce journal. Peut-être avait-il raison? Sans doute les confessions rendaient-elles détestables à coup sûr?

Je ne savais plus quoi penser de lui. Je ne pouvais m'imaginer que l'homme au rire et sourire si rayonnant auquel j'ai failli conter mon histoire, ma tragédie personnelle, se révélait être un homme froid et qui plus est calculateur. Pourquoi m'avait-il raconté ça, à moi?

De la peur. C'est tout ce qu'il m'inspirait désormais. Et, au final, ne m'a-t-il jamais inspirée autre chose ?

Je repense à notre rencontre au bar et, avec le recul, je me sens stupide. Stupide d'avoir ressentie des émotions aussi fortes pour un personnage si...double? Cependant avec une telle aura émanant de son être, mêlant avec grâce et impertinence banalité et bestialité qu'il pouvait, selon l'envie, dégager; ce mélange plus qu'improbable m'intriguait au plus haut point.

"Ça n'était, définitivement, pas humain."

Ça faisait deux semaines...deux semaines pendant lesquelles je ne cessais de l'observer du coin de l'oeil comme une bête de foire. Je scrutais sa démarche, analysais ses paroles, passais au peigne fin la moindre expression de son visage, le moindre sourire, le moindre haussement de sourcil. Tout pour ainsi dire. Essayant désespérément et avec un entêtement déraisonné de percer le secret de cet homme qui, au premier abord, semblait être tout à fait normal.

Je l'observais s'amuser avec les enfants, tout sourire. Je l'écoutais  discuter ça et là avec des membres de l'association, riant au detour d'une boutade qu'il semblait avoir naturellement presque "offerte" à son auditoire. Comme s'il savait ce qu'il fallait dire. Non. Comme s'il savait ce que les autres voulaient entendre avant même qu'ils en aient conscience.

Il se comportait, pour ainsi dire, de façon exemplaire.

Ce qui le rendait attirant pour beaucoup, hommes comme femmes, et nourrissait ma curiosité à son égard. Jamais homme n'a été aussi suspect à mes yeux. À quoi s'attendait
-il en me révélant toutes ces choses sur son passé? "Peut-être est-ce vous ma rédemption?": Qu'entendait-t-il par là? Recherchait-il ma sympathie? De la compréhension ? Voir même...de la compassion?
 
Perdue dans toutes ces interrogations et, sans que j'y prêtasse vraiment attention, mes pupilles s'attardant sur le corps de John à la recherche de réponses, finirent par croiser les siennes pour la première fois depuis deux semaines. Il me fit un petit signe de la main droite, avec ce sourire pincé qu'arborent les personnalités timides, avant de détourner son regard fuyant mon visage impassible.

Et c'est alors que je compris. Soudain. Sous ce soleil brûlant. Dans un moment de lucidité comme rarement j'en avais vécu auparavant; qu'en réalité cet homme, que je sondais depuis maintenant deux semaines, était mort depuis bien longtemps.

Casus BelliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant