Prologue

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Qu'est-ce qu'un narrateur ?

Pour vous, ignorant que vous êtes, c'est une personne qui raconte quelque chose. Cette chose est bien souvent un récit d'un évènement passé ou le récit d'une fiction lambda. Si vous avez besoin d'un exemple pour vous illustrer ceci et bien le voici : actuellement, je suis le narrateur cette histoire dont le titre est « Le fils maudit du Narrateur ». Ne vous inquiétez pas, vous n'aurez pas à me supporter longtemps, je ne suis là que pour les premiers instants. Après, je laisserais au protagoniste le soin de vous raconter ses péripéties.

Enfin bref. Vous avez compris mon exemple ? Parfait !

Donc, effectivement, un narrateur peut être défini ainsi. Seulement, ce terme désigne aussi autre chose. Une profession pour être plus précis. Les narrateurs sont des Hommes rédigeant sans arrêt dans des ouvrages à la couverture de cuir. Que rédigent-ils ? Demandez-vous. Et bien, la réponse est simple :

Le destin.

Le futur.

L'avenir.

Appelez ça comme vous voulez, mais le fait est que ce sont ces personnes qui déterminent qui dans le monde fera partie de l'Histoire avec un grand H., Car, oui, désolé de vous l'apprendre, mais certaines vies valent plus que d'autres. Ne vous énervez pas contre moi, je ne suis là que pour énoncer des réalités, aussi cruelles soient-elles. Un boulanger, même si son métier est des plus respectables, n'est pas aussi important qu'un roi. Par conséquent, seule la vie du roi sera relatée dans ces livres. Ces livres sont nommés les Originaux. Ils ne sont connus que par une poignée d'entres-vous. Estimez vous chanceux, vous êtes à présent vous aussi dans le secret. Les Originaux ont tous été écrit un demi-millénaire en avance. Rien que ça. Ce mécanisme de rédaction – réalisation est ancrée dans notre monde depuis toujours. Comment une telle sorcellerie peut-elle exister ? Même moi, narrateur, je ne le sais guère. Néanmoins, c'est une machine bien rodée et jamais elle n'a déraillé.

Personne ne sait où ils entreposent les Originaux. Désigné par « Racine », l'endroit n'est connu et consultable que par les trois narrateurs en chef.

Intéressons-nous à ceux-ci. Puisqu'ils peuvent entrer en ces lieux, ils peuvent donc avoir accès à tout ce qui a été écrit. Bon.

Et bien, maintenant, imaginez-vous être un de ces trois élus. Comme chaque jour, vous entrez dans la bibliothèque afin de prendre connaissance des prochains évènements qui ont été décidés par vos prédécesseurs. Vos yeux parcourent les lignes avec avidité. Dire que c'est grisant d'accéder à cette connaissance est un euphémisme. Savoir à l'avance les évènements majeurs, c'est avoir la possibilité d'agir intelligemment face à l'Histoire. Ce pouvoir, rare sont ceux à ne pas le désirer. Et là !

Votre lancée est stoppée abruptement. Pourquoi ? Une des phrases délicatement écrite à l'encre bleue vient de vous faire louper un battement. De tout votre être, vous espérez avoir mal lu. C'est ainsi qu'avec une peur non dissimulée, vous relisez soigneusement chaque mot composant la terrible phrase.

« Le fils du narrateur en chef sera retrouvé sans vie, baignant dans une mare de sang. »

C'est ce choc que vécu Samuel Pimboltone en ce vendredi matin. Comme insolent à cette nouvelle des plus macabres, le ciel s'était habillé de son soleil le plus radieux et traversait sans gêne les fenêtres de la Racine.

L'homme fut pris d'une horrible nausée. Il était le seul des narrateurs en chef à avoir des enfants.

Son fils. C'était son fils dont il était question ! La chair de sa chair, son seul garçon parmi ses quatre enfants, le petit dernier de la famille. Il allait avoir 20 ans dans une dizaine de jours et commençait à peine à pouvoir se débrouiller tout seul. Il n'avait encore rien vécu. Et son prédécesseur voulait lui enlever ça ? Bafouant au passage une des règles les plus fondamentales : ne jamais impliquer les futurs narrateurs et leurs familles dans l'Histoire. Et un narrateur en chef en plus ! Quel affront !

Samuel regarda la date de cette aberration avant de se mettre à pleurer sans retenue. Une semaine et un jour, c'est le temps qu'il restait à son garçon. Une semaine et un jour avant qu'il ne soit tué par ces mots.

« Si seulement je pouvais faire quelque chose... Siméon, mon fils, je suis tellement désolé, geignait-il dans sa profonde détresse avant de reprendre ses lamentations de plus belles. »

Il s'imaginait sans peine le déroulement du jour J. Il se lèverait comme chaque samedi, vers 7h 30 en réveillant au passage sa tendre épouse. Debout, il s'habillerait et partirait faire le petit-déjeuner pour toute la famille. Il déposerait sur l'énorme plateau de bois des viennoiseries pour lui et son ainé, des œufs pour sa femme, des tartines ainsi qu'un énorme pot de miel pour les jumelles. Rien n'était prévu pour le dernier car le bougre aimait piocher chez tout le monde. Après avoir mangé Siméon se lèverait en décrétant qu'il avait encore faim. Par conséquent, il se lèverait pour aller de l'autre côté de la maison pour aller cueillir des fruits sur le pommier près de l'étang. Ne le voyant pas revenir, sa femme partirait le rejoindre. Quelques minutes plus tard, il entendrait son cri déchirant le calme pourtant habituel du lieu. Alerté, il foncerait vers la source de ce cri de douleur avant d'en être à son tour assailli. Il serait là ne sachant que dire, derrière sa femme en pleurs tenant de ses petits bras leur unique fils, mort.

Mort.

« Non, cria-t-il soudainement en se redressant. »

Il n'allait tout de même pas accepter ça ?! Pourquoi devrait-il le faire ? Ce narrateur, cette crapule, n'avait pas respecté le fondement même de leur institution. Pourquoi devrait-il faire de même alors qu'il allait être victime de l'infraction d'un autre ?

Non...

Siméon Pimboltone ne mourra pas.

C'est sur cette pensée que le père du garçon commit une faute encore plus grave. Il prit sa plume et ratura cette phrase qui n'avait rien à faire là.

L'Histoire était à présent modifiée.

Et le Destin brisée.

Le fils maudit du NarrateurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant