Chapitre 2 : Départ et Déchirement

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Les yeux fixant à la fois tout et rien, encore chamboulé par la nouvelle, je caressais vaguement la robe baie de la jument

Moi, Siméon Pimboltone, je suis contraint de quitter le confort du cocon familial pour une vie solitaire et nomade. J'allais devoir me débrouiller seul.

Tout seul.

« Tu es prêt ? »

Au sol, je vis l'ombre de ma mère apparaître. Le cœur gros, je n'osais pas remonter mon visage pour être en face d'elle de peur de craquer. Alors, à la place, je me contentais de hocher la tête. Enfin non. Je voulais hocher la tête, mais mon corps avait réagi plus vite. D'une volonté de bouger la tête de haut en bas, j'arrivais au résultat de moi bougeant la tête de gauche à droite.

Bordel bien sûr que non, je n'étais pas prêt ! Dix-neuf ans et je ne sais même pas lire une carte ! Comment voulez-vous que je m'en sorte dehors ?! Qui plus est, seul ! Je ne suis jamais allée plus loin que l'entrée du village !

« Papa et toi êtes sûrs qu'il n'y a aucun autre moyen ?
- Oui, on a exploré toutes les autres possibilités...
-Maman, j'ai... Peur, avouais-je en remontant mes mains à mon visage afin de masser mes tempes. »

Ma mère allait me répondre quelque chose, mais la tête poivre sel de mon père apparu dans mon champ de vision en me demandant si j'étais prêt pour le départ. En dix secondes, la réponse n'avait évidemment pas changé, mais devant mon paternel, la donne était différente. Je voulais qu'il me voie fort pour qu'il puisse soutenir ma mère dans l'épreuve qui allait suivre. Et aussi sans doute pour qu'il s'en veuille un peu moins.

« Tu partiras avec Polka, m'annonça mon père. »

Polka, c'était justement la jument que je caressais. Mon amour pour ce cheval était aussi grand que l'amour que je portais à ma famille. Présente depuis ma naissance, elle se dressait toujours fièrement devant nous. Un mince sourire s'étira sur mes lèvres. Au moins, je ne serais pas si seule que ça, pensais-je.

Naïveté, bonjour.

« Quand tu arriveras en ville, je veux que tu la vendes en essayant d'en tirer le meilleur prix ! Continua-t-il,
-Pardon ?! T-Tu veux que je vende Polka ? Mais ça ne va pas la tête ! J'adore Polka, je ne pourrais jamais la vendre !
-Peut-être, mais il le faudra bien, mon cœur. J'ai déjà peur que tu ne puisses pas t'occuper de toi correctement dans ces conditions alors avec Polka en plus, cela me parait impossible, me répliqua doucement ma mère sous les hochements appuyés de mon père,
-Et puis, elle n'est pas très discrète, si tu vois ce que je veux dire, précisa mon père. »

À contre cœur, je confirmais leurs propos. Il est vrai que Polka n'était pas un petit cheval. C'était même plutôt l'inverse. Baptisé la gentille géante par ma plus grande sœur, Polka avait un appétit proportionnel à sa taille. C'est-à-dire, impressionnante. Pour s'en occuper comme il le fallait, un beau budget était nécessaire. Or, je n'en aurais sûrement pas.

« Bon, ce point étant clair, laisse-moi te donner ceci, me dis mon père en me tendant un carnet à la reliure doré,
-Qu'est-ce que c'est ?
-Au début, ce sont des instructions pour que tu puisses avoir les bases pour t'en sortir sans nous. Après, c'est tout ce dont tu as besoin de savoir sur ta situation, car je savais que je n'aurais pas le temps de m'étendre là-dessus avec toi aujourd'hui. Il y a aussi des cartes, des conseils, etc. J'ai écrit ça cette semaine en espérant pouvoir t'aider. Garde-le précieusement, tu m'entends Siméon ?
-Oui, papa.
-Allez viens-là mon fils. »

Sans avoir eu le temps de réagir, je fus blotti contre le torse de mon père. Je n'avais jamais été très tactile avec lui, ou du moins les contacts étaient beaucoup plus rares qu'avec ma mère. Alors être étreint par ses bras à la fois réservés et aimant puis rejoins par ceux très doux de ma mère me bouleversa. Pendant quelque temps, je n'aurais plus le droit à de tels gestes avec eux. J'espérais que ce temps soit de courte durée, mais j'en doutais fortement.

« Vous direz au revoir aux filles pour moi ? Demandais-je,
-Oui,
- Merci. »

C'est sur ces dernières embrassades que je partis mes affaires sur l'épaule, chevauchant Polka, en direction d'une vie incertaine. Au loin, j'entendais les dernières recommandations de ma mère déchirées par ses pleurs. Faire attention à moi, ne pas faire confiance à n'importe qui, bien manger, abîmer le moins possible mes affaires pour ne pas avoir à les racheter, éviter les gardes. Si la liste était déjà longue, j'étais convaincu qu'elle n'en avait pas dit assez à son goût. Cette réflexion faite à moi-même me fit sourire. Ma mère ne changerait jamais.

Et moi non plus.

C'est tout moi ça, écouter tous les conseils qu'on me donne, mais sans les appliquer. Pourquoi je dis ça ?

Vous voyez le carnet très important écrit par mon père avec toutes les informations nécessaires à ma survie ? Et bien, je l'ai fait tomber.

Dans une flaque d'eau.

Bordel.

Le fils maudit du NarrateurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant