Phobie

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Et chaque jour je suis effrayée. La peur me saisit dans mes entrailles et m'étourdit lorsque je dépose mes deux pieds à terre. Cette même réticence fait virevolter toutes sortes d'idées dans ma tête. 

Oui, je m'endors tard le soir, ou tôt le matin pourrais-je dire, avec la pensée ailleurs. Les songes là où tout est noir, à l'emplacement même où tous mes démons sont cachés. Ils sont enfouis sous des millions d'autres choses et pourtant, chaque jour ils refont surface.

J'appréhende. J'appréhende d'observer cette pâleur, de fixer ces deux billes si sombres. Je ne connais que trop bien ces instants. Je reproduis frénétiquement la même chose plusieurs fois par jour, malgré la boule qui apparaît au fond de mon ventre. J'ai la phobie de ma personne. La peur inébranlable de rester face à ce reflet qui est le mien durant des minutes entières alors que mes lèvres se forcent à sourire pendant que mes yeux luisent d'humidité. Je suis terrorisée de me voir, de lire à travers mes pupilles à quel point je vais mal. Traduites par mes cernes ces milliers d'insomnies. Je suis pétrifiée d'observer mon corps, entaché de bleus, rougi de traits et dessiné par mes os. 

Tous les matins, tous les soirs, tous les jours. Je passe devant ce miroir et je m'y arrête, ignorant cette douleur imminente intense qui se loge au creux de mon estomac. Retenant mes hauts le coeur à ma seule vue. 

Phobique de voir ce désastre que je suis devenue en face de moi. Ce pantin livide, fatigué et désespéré. 

Je la vois faire ce détour par la salle de bain, s'observer elle aussi et grimacer. Elle sort alors sa brosse, son pinceau et sourit satisfaite quelques minutes plus tard avant de partir. Je fais la même chose à vrai dire, je ne suis pas si différente. Je maquille mon âme. Je maquille mon esprit si déchiré qui pourrait apparaître sur mon visage. Je l'efface tout d'abord, j'essuie les malheurs qui se sont accumulés et les emporte par des ruisseaux entiers avant de recommencer le travail. Je réhausse mes pommettes; je souris, mon sourire maquillé. Et je ressors en affichant ce sourire, car moi aussi, je suis la seule à m'accorder le droit de m'observer au naturel, démaquillée, lavée.

J'ai peur de devoir m'affronter ainsi chaque jour, affronter cette vérité qui fait si mal. Car face à notre propre vision, nous ne pouvons plus nous mentir. Je ne peux plus fabuler une vie qui me fait sourire ni même l'espoir ou le bonheur. Quand j'aperçois mes traits tirés, les valises si lourdes de quelques années de vie seulement, je comprends que mon départ est très proche en effet. Lorsque j'intensifie mon regard sur mes lèvres légèrement carbonisée par les respirations saccadées à travers ces filtres, je me rends compte que l'enfer n'est pas si loin. Je suis tétanisée de devoir un jour, m'arrêter devant mon image, sans même y prêter attention, car je saurai déjà que rien n'a changé, et que ça ne changera jamais plus. 

Textes instinctifs de survieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant