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J'avais atrocement mal à la gorge, impossible pour moi de prononcer le moindre mot. Je comptais ne m'en plaindre à personne : depuis deux jours, avant que mes maux physiques ne surviennent, j'avais de toute façon les lèvres scellées à cause de la platitude nouvelle de mes liens avec la juge.

Nous n'avions plus aucun autre contact que celui qui nous assemblait indéniablement, et de nature professionnelle. J'avais, semblait-il, agi de la pire façon qui fut à ses yeux : elle me détestait parfaitement depuis ma demande en mariage.

Un jour après être passé à la pharmacie pour remédier à ce problème qui ne m'avait jusque là pas vraiment dérangé sauf lorsqu'il avait été question de faire preuve d'autorité durant les interrogatoires, je décidai d'aller à son encontre avant qu'elle ne retrouve Mathieu.

Il fallait à tout prix que j'arrive à lui faire changer d'avis. Elle me foutait dans la merde en pensant sérieusement au départ... parce que si elle s'en allait, sans mentir, elle m'ôtait une raison de me lever chaque matin. Elle me passionnait plus que mon travail et alimentait cette douce hâte d'être à demain pour la revoir et obtenir encore une chance de sentir son regard posé dans le mien.

— Oh, vous m'avez fait peur...

Superbe approche. J'étais con jusqu'au bout, ou plutôt rendu con par sa décision meurtrière de s'en aller loin de moi, de déserter mes yeux pour aller envahir mon cœur de manière criminelle.

— Je voudrais qu'on parle, vous et moi.

— Si c'est à propos de crime passionnel, j'ai mon avis et vous ne m'en ferez pas changer...

— Alice... pour l'autre jour, je voulais pas tout remettre en question. C'était juste pour vous faire réagir, pour... vous faire peur...

Elle avait changé d'expression. J'étais sûr d'y passer, mais je n'avais plus rien à perdre. S'il fallait un accrochage pour lui faire changer d'avis, j'étais prêt à prendre les coups nécessaires.

— Je ne compte pas revenir là-dessus non plus, Marquand. On en a déjà assez parlé...

— Non, on n'en a jamais parlé parce que ces derniers jours vous avez tout fait pour m'éviter. Merde, regardez-moi au moins ! Je veux que vous restiez.

— Mais qu'est-ce que ça change pour vous ? Et puis qu'est-ce que c'est que ces façons de faire valoir votre parole ? Vous savez que ce que vous avez fait est immoral ? Une demande en mariage, c'est tout ce qu'il y a de moins anodin, Marquand ! Vous n'aviez pas le droit d'en user pour servir vos arguments.

— Je regrette, mais vous auriez fait quoi, vous, pour retenir quelqu'un que vous aimez et qui veut se tirer sans vous prendre en considération ?

— Mais...

— Non ! Je suis sincère, et je l'ai toujours été, alors soyez-le vous aussi, ne serait-ce qu'un peu. Puisque c'est à peu près tout ce que je peux encore vous demander.

— Mon père insiste, Mathieu est d'accord, Paul n'a pas d'avis, j'en ai un et j'ai bien envie de satisfaire les deux hommes de ma vie...

J'étais excédé.
Après un hochement de tête résigné, je fus réduit à une fuite dans l'hiver parisien... avant de sentir sa main sur mon épaule.

Elle avait envie de m'embrasser — j'avais appris à identifier ses mimiques. Elle était bien trop explicite pour que m'échappent ses vérités... Mais je ne pouvais pas lui dire, je ne pouvais plus rien lui dire. J'avais tout fait : déclarations évidentes et moins clinquantes, silences qui suggéraient tout ce que j'avais à lui dire et qui ne sortait pas, ou alors très mal... rien n'avait jamais fonctionné. Pourquoi une demande en mariage changerait la donne dans mon pourcentage de malchance sentimentale ?

— Je n'ai pas envie de vous perdre. C'est une contrainte, mais je n'en suis nullement ravie.

— Ça vous empêche pas de partir.

— Qu'est-ce que vous auriez fait, si j'avais dit oui ?

Elle me défiait dans sa fragilité. Elle n'avait plus le monopole de ses mots : sa curiosité avait pris le pas sur ce qu'il fallait taire. Je tins à mettre rapidement fin à la torture qu'elle s'infligeait en supplément à ce dédale qui nous séparait avec une minutie drôlement appliquée.

— Je vous connais par cœur Alice, vous êtes trop raisonnable pour vous lancer dans une telle plaisanterie.

— Vous pensez que je n'aurais pas pu vous répondre favorablement tout en étant sérieuse ?

— Vous me testez ?

— C'est vous qui m'avez testée, Marquand. Je me suis trouvée en dessous de tout, j'ai ruminé la question jusqu'à maintenant, et je n'ai toujours pas résolu le problème dans ma tête... Mais qu'est-ce qu'il vous a pris ?

— Je voulais vous marquer... vraiment.

— Mais vous me marquez à chacune de vos répliques drôles et fines, enfin, il y a bien d'autres moyens de me marquer un peu moins dangereux !

— Dangereux ? Vous êtes en train de me dire que ça a marché ?

— Je n'en sais rien du tout, mais je me trouve en insécurité.

— C'est pas drôle, ce que vous dites.

— Quoi, vous ne me croyez pas ?

— Vous êtes en train de me dire que j'ai suscité de vives émotions chez vous, des émotions que personne n'avait encore pris soin de réveiller... et ça me paraît... non, je ne vous crois pas.

— Vous avez tort, parce que... j'ai beaucoup pensé à ce que je ressentirais si je vous perdais. Je veux dire, pas seulement en partant, mais s'il vous arrivait quelque chose de grave, ou de très grave... vous savez, je me demande encore de quelle mystérieuse façon je suis attachée à vous.

Je m'imposais de me faire petit même si j'avais envie la faire parler des heures, de m'assurer qu'elle continuerait cette tirade trop bien partie pour être interrompue par quoi que ce soit. Je me taisais passionnément.

— En mettant cette distance imposée entre nous, j'aurai au moins une idée de ce que vous représentez pour moi.

— Vous êtes en train de me dire que cette mesure d'éloignement vise à vous mettre à l'épreuve pour identifier vos sentiments à mon égard ? ne pus-je m'empêcher d'essayer d'interpréter.

Elle allait riposter pour démentir et se tut en enlaçant ses doigts de plusieurs façons pour combattre la fraîcheur de la saison.

Elle me sourit d'une façon un peu cassée.

Que devais-je comprendre par là ? À mon humble avis, il s'agissait d'un oui qui incluait un pardon de vous infliger ça à vous qui savez déjà depuis bien longtemps ce que vous éprouvez pour moi.

Dis lui qu'elle t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant