D-EUX

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Elle me lorgnait depuis un bon quart d'heure. Mal à l'aise, je décidai d'aller la voir pour briser le silence qu'impose tout regard pénétrant.

— Bonjour, la saluai-je en espérant ne pas lui paraître trop direct.

— Oh, bonjour, lâcha-t-elle dans un semblant de désinvolture qui frisait le ridicule.

— Vous permettez ?

— Si vous voulez... mais j'attends quelqu'un, crut-elle bon de préciser une fois que je m'étais bien assis.

— Un homme ? demandai-je en devinant qu'elle croyait gagner à un jeu que je connaissais par cœur : celui de la séduction.

— Oui, un homme.

— Ah, soufflai-je, à court de rien.

Ces petites répliques insignifiantes ne me réjouissaient plus autant qu'auparavant, quand j'étais jeune et intéressé. À présent, conscient du charme qui s'opérait sur certaines femmes quand elles venaient à me rencontrer, je n'avais plus le même plaisir à leur faire comprendre que je les trouvais également ravissantes.

Celle-ci ne m'intéressait guère, mais j'étais certain que si elle était intervenue dans ma vie quelques années plus tôt, je lui aurais adressé un regard, une parole, et peut-être même quelques caresses égarées.

Je n'étais plus cet homme là, j'avais perdu ma liberté.

J'étais amoureux.

— Quand est-ce qu'il arrivera ?

— Deux heures grand maximum.

En tant que commandant, je comprenais aisément qu'elle n'avait aucun plan pour m'entraîner dans ses filets : elle mentait mal à chacune de mes interrogations. Mais il me fallait m'efforcer à ne pas penser boulot. J'étais un homme avant tout, et j'avais des sentiments, des émotions. Je les appelais, mais rien.

Toujours rien.

— Vous m'offrez un verre ?

Le sourire taquin qu'elle m'adressait était d'une splendeur qui me révéla la beauté de son visage ainsi que de son être tout entier. Je pris conscience que je n'avais jusque là pas réellement levé les yeux sur elle.

Elle attendait de moi que j'agisse, mais ce théâtre m'ennuyait déjà. Pourquoi avais-je cédé à cette minuscule envie de la connaître, elle qui s'était installée en face de moi rien que pour me guetter secrètement ? Certainement parce que nos inconscients s'étaient parlés et qu'ils avaient accroché. En la regardant à nouveau je découvris qu'elle était réellement intéressée, et qu'elle n'avait pas tellement l'habitude de toutes ces manières. Généralement, ce devaient être les hommes qui lui proposaient monts et merveilles.

Je ne pouvais décemment pas la planter là après lui avoir en quelque sorte fait la cour.

— Je suis désolé, finis-je par avouer. J'ai pas les mots pour continuer notre échange et pas la force de vous inviter à dîner ni quoi que ce soit d'autre. Mais je vous trouve très belle.

Elle ne me regardait plus, elle devait déjà m'insulter de tous les noms intérieurement.

— Alors tu ne te souviens vraiment pas ?

J'étais abasourdi par cette réponse. Un tel retournement de situation n'était pas pour arranger ma position déjà critique dans cette conversation.

— Je ne vois pas...

— Cette femme que vous avez draguée au centre commercial, lors d'une enquête, alors que votre collègue vous suppliait de partir... c'était moi.

— Oh, merde... je suis...

— Oui, désolé... Apparemment vous n'avez pas un dictionnaire très riche en tête.

— Je ne vous permets pas !

— Vous savez combien d'hommes posent le regard sur une caissière ? Zéro virgule zéro... et quand ç'a été vous, j'y ai bêtement cru. Qu'est-ce que c'était, alors ? Remarquez, croiser le grand amour dans un supermarché, on a vu mieux...

— Vous pensiez que j'étais amoureux ?

— Je n'irais pas jusque là. J'avais seulement quelques doutes à votre propos alors quand je vous ai vu vous arrêter ici j'ai choisi d'en savoir davantage sur vous, et puis, ça m'est apparu comme un signe, cette deuxième rencontre... Je passe pour une grande naïve.

— Non, pas du tout.

— À quarante ans, vous avez raison : c'est de la connerie. Je vous souhaite malgré tout une bonne journée.

Quel salaud.
Je la laissais filer parce que la seule femme que j'aie jamais voulu retenir sans même être immobilisé par cette éventuelle fierté mal placée propre aux mecs, c'était Alice.

Et pourtant, évidemment, elle s'était barrée.

Dis lui qu'elle t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant