TRO-IS

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— Mon père est malade.

Je ne sus comment réceptionner cette annonce. Était-ce grave ? Je la laissai poursuivre, car la connaissant, elle avait déjà prévu de m'en dire davantage.

— Il n'est plus tout jeune, mais le médecin a su affirmer en ma présence lors de la consultation qu'il se portait très bien pour son âge et qu'il n'y avait aucune raison pour que ça change. À priori il ne s'agit que d'un gros rhume, mais par prévention nous avons préféré louer un appartement juste en face, pour le laisser respirer, si je puis dire.

Je ne comprenais pas très bien pourquoi elle avait l'air d'insister sur cet élément qui n'avait rien d'affolant. J'entendis qu'elle étouffait un rire...

— La vérité c'est que je ne savais pas comment commencer cette discussion, alors je l'ai préparée dans ma tête et je n'ai trouvé que le rhume de mon père pour vous apprendre notre situation ici, à Dijon.

Je souris à mon tour. En effet, cette situation était grotesque. Ces kilomètres entre nous pour se prouver que nous n'avions besoin d'aucun d'entre eux, qu'ils nous étaient même nocifs.

— Et vous, pas de rencontre ?

— Une dame m'a croisé, l'autre jour. Elle m'a souri, et elle m'a pris par l'épaule pour me dire que si elle avait vingt ans de moins, elle m'aurait demandé en mariage. Je l'ai pris pour un immense compliment... et à part ça, rien de nouveau.

Je ne pouvais qu'admettre qu'à moi aussi, cet éloignement me faisait une sorte non-identifiée de bien. Et je me souvins de l'article dans un magasine traitant uniquement de psychologie : la distance entretient le désir. Alice avait-elle lu cette même affirmation pour avoir son idée saugrenue et mal tombée ? Car depuis quelque temps, je me sentais en mal de compagnie. Aux dernières nouvelles, Juliette s'était fait un « copain » avec qui elle passait beaucoup de temps. Je ne comptais pas m'immiscer dans ses jours heureux. J'étais un peu jaloux, c'est vrai... et me sentir mis de côté par ma fille m'avait fait prendre conscience de ce qu'elle avait pu ressentir depuis que j'avais intégré ma place de commandant.

Cette situation me tenait à cœur et j'avais même du mal à dormir. Pour couronner le tout, Alice s'en allait. Superbe avenir en perspective...

— Vous avez reparlé fiançailles avec Mathieu ?

Non, cette question ne quittait jamais vraiment mes pensées. Alice en fut assez surprise, je l'entendis, mais elle soupira en se grattant l'arrière du crâne : anxiété. Je la devinais à l'autre bout du fil et ça aussi, c'était succulent. Je me prouvais à moi-même que je la connaissais assez pour en être amoureux.

— Avec un enfant en bas âge à s'occuper, on a un peu de mal à évoquer des sujets aussi sérieux.

— C'est lui qui vous en a reparlé ?

Elle soupira, excédée et pourtant obligée d'admettre.

— Il trouve toujours un moyen pour me faire réagir : si ce n'est pas la bague d'une main qui se balance dans la rue, c'est une robe dans une vitrine ou un couple de soixante dix ans qui s'aime encore et qui entrelace ses doigts bagués.

— Vous comptez céder ?

Car là était la question.

— Marquand...

— Je sais, moi aussi ça me fait chier de revenir là-dessus... dis-je de façon assez grotesque. Mais il me faut du concret.

— Vous vieillissez à vue d'œil.

— Alice, vous aussi, et je compte pas vous laisser vous faire emporter par le temps sans m'avoir dit oui. Enfin, c'est une façon de parler, je ne voulais pas parler de mariage, hein... J'attends un oui pour me confirmer que je peux vous embrasser, vous emmener vous balader avec moi, en toute tranquillité...

— Fred, je ne veux plus jamais que vous prononciez le mot mariage.

— Pourqu...

— Parce que je n'en peux plus ! On dirait une mode récente.

— Pardon mais je crois que ma demande, même si elle avait des airs de fatalité, était plus véritable que celle...

— Ne prononcez plus non plus le prénom de Mathieu. J'ai l'impression d'être oppressée par deux hommes qui se haïssent et qui m'adorent.

— C'est bien ce qu'il est en train de se passer.

Elle suffoquait carrément. J'hésitai à lui demander si ça allait. Mais je comprenais, au fond, son étouffement. Elle en avait juste marre...

Marre d'être trop aimée, et peut-être mal-aimée.

Dis lui qu'elle t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant