les miettes

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- Mais je suis habituée, c'est pas grave.

Qui est-ce que je tente de persuader comme ça?

- C'est pas grave, je répète.

Ça élargit le trou dans ma poitrine, mais je sais que c'est pas pour toujours. Et puis je n'étais pas amoureuse, je me remet plus facilement. En réalité c'est à moi que j'en veux. De m'accrocher à ce point, inconciemment. Je fais pas exprès pourtant, j'arrive pas à me préserver, et je sais que les gens ne sont pas des pensements.

- Il est quelle heure? Je demande.

Pleurer me fatigue, et la journée a été pénible.

- Bientôt deux heures et demi.

Nos nez se touchent à présent. Je suis tellement fatiguée. Et il fait tellement froid ici. Je sens le chien se poser près de moi et s'allonger, ça me réconforte un peu. L'odeur de Garrett m'apaise, un mélange d'effluve luxueuse, de miel et de tabac.

- Y a un truc qui fonctionne pas chez moi, je souffle.

Et je n'attend même pas de réponse.

- Des gens cassés, y en a des tas, tu sais.

Je lève les yeux vers lui.

- C'est pas si important, poursuit-il. Ils ont juste un peu plus de mal à vivre que les autres.
- Je pourrais aller bien.
- Qu'est-ce qu'il te faudrait?
- Je sais pas... Je suppose que ça pourrait aller si je faisais ce dont j'avais envie en temps réel.
- Qu'est-ce qui te freine?
- Mes parents, et tout le reste. J'aimerais pouvoir allumer des bougies, mettre la musique qui me plaît, adopter un chien à la SPA, faire des feux de camps, aller à des concerts...

Il garde le silence un instant et je me dis qu'il ne comprend pas. Comme tout les autres. Mais il m'interrompt dans mes pensées.

- Un jour, je t'emmenerai écouter quelque chose de vraiment beau.

Ça sonne comme une promesse, un rendez-vous.

- Je te ferai du vrai thé, pas comme celui qu'on trouve en grande surface. On allumera des bougies, on fera brûler de l'encens et puis on ira te choisir le plus malheureux des chiens pour que tu puisse le sauver. On pourra même faire garde alternée si tu veux, ajoute-t-il.
- Es-tu seulement réel? Je plaisante.

Il sourit. Il est magnifique.

- La liberté, c'est dans la tête, me dit-il en tapotant ma tempe.

Et tout semble soudainement simple. C'est différent avec lui : le rapport que j'entretiens au corps, l'espace-temps, les parfums. Sa réalité n'est pas celle que je côtoie habituellement. Le monde semble différent à travers ses yeux.

Pour la première fois depuis longtemps, je fais une nuit de sommeil complète. Alors que je pensais impossible de m'endormir à ses côtés, pas quand l'air était saturé de son parfum, pas quand je m'étais allée aux confessions ainsi -pas alors que son visage se trouvait à quelques centimètres du mien- je me réveille bercée par les rayons de soleil qui filtrent à travers les volets mal fermés. Ils se posent sur le visage de Garrett en lignes droites et parfaites. Il est tellement beau que c'en à peine croyable. Ses sourcils, son menton, son nez... Il ouvre les yeux avec difficulté et me sourit à travers son masque de fatigue. C'est officiel : il est la personne la plus adorable de la Terre. L'équivalent d'un bouquet de fleurs humain.

- T'as les yeux tout lila...

Il touche mes cernes du bout des doigts, les yeux à demi-clos. Je hausse les sourcils.

- Il est quelle heure? Poursuit-il en laissant retomber son bras mollement.

Je me contorsionne pour attraper mon téléphone à côté du matelas.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 02, 2018 ⏰

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