drunk enough

111 11 2
                                    

Michael me jette un regard du coin de la pièce, regard que j'ignore soigneusement. Je pousse un lourd soupir et bois une nouvelle gorgée à même la bouteille de vodka-orange, grimaçant à peine. Le goût du jus camoufle à merveille celui immonde, de l'alcool. Je déteste boire mais je bois quand même, pour oublier, pour embrouiller mon cerveau. Pour alléger mes capacités de réflexion, l'empêcher de raisonner et d'en venir à la sempiternelle solution : la mort. La mort qui délivre de tout les chagrins et de tout les péchés. La délivrance, le point final à l'histoire mal écrite de ma vie. Un mauvais scénario, voilà ce dont il est question. Vivement qu'on en finisse, putain. Je bois une seconde gorgée, en l'honneur de cette dernière pensée, comme un toast macabre dont personne n'aura jamais connaissance. J'ai perdu de vue mes amies, mais je ne m'en soucie même pas. Tout me blase, je ne ressens plus aucun attachement pour personne. Tout mes gestes sont lourds, j'ai l'impression de brasser de la semoule. L'air se fait opaque dans mes poumons et chaque respiration manque de m'étouffer. Me lever et me diriger jusqu'à la salle de bain le matin me prend un temps fou. Je reste là, étendue sur mon matelas, courbaturée, à me poser les mêmes questions en boucle pendant dix minutes. Pourquoi dois-je me lever? À quoi cela sert-il de continuer à faire tout ces efforts, où cela me mène-t-il? Ma vie n'a aucun sens, chaque jour est un fardeau. Mais me voilà, tentant de faire bonne figure : une apparition publique fugace histoire de rassurer les foules. Non je n'ai pas disparu, oui je vous aime toujours : la preuve j'ai fait gaspiller de l'essence à mon père pour me traîner jusqu'ici et je m'apprête à passer une nuit blanche abominable à vos côtés.

Je bois encore, ça me coule sur le menton. J'essuie ma peau avec nonchalance, fatiguée. Lorsque je lève la tête au dessus de ma bouteille, un garçon me regarde au loin. Enfin plutôt un jeune homme. Je suis tellement dans les vapes que je reste là, à le fixer, sans émotion aucune. Je constate sa présence, c'est tout. Je le détaille : on dirait une créature extraordinaire. Il n'a pas l'air humain. Peut-être sort-il du jardin d'Éden? Ou alors c'est un grand seigneur. Qu'est-ce qu'il fout ici? Il ne se fond pas du tout avec le décor. Près de moi, des mecs de cinquante ans se mettent à parler trop fort et l'air embaume soudain le pastis. Je soupire en m'éloignant, mais continue d'observer le garçon. Il a des cheveux longs et ondulés, des traits délicats, une chemise jaune nouée de manière féminine sous un perfecto en cuir. Il a une allure incroyable. On continue de se regarder comme ça, moi qui boit en grimaçant et lui qui fume en souriant en coin. Il est amusé, et moi j'ai la nausée. Il ne faut pas que je force si je veux éviter de vomir. Mais est-ce que je vous ai déjà dit que je n'en avais plus rien à foutre de rien? Je continue même si ça me dégoûte en priant pour ne pas gerber. Je me fiche de vomir, je ne veux juste pas régurgiter la substance de mon corps. Ça me ferais vraiment chier d'avoir bu toute une bouteille péniblement pour ne plus en sentir les effets au bout d'un quart d'heure. Ma tête commence à me lancer, mais tant pis. Je l'ai mérité de toute façon. Peut-être que Dieu ne m'aime pas, peut-être qu'il m'en veux d'avoir failli me donner à Michael alors qu'on est pas mariés. Alors qu'on est même pas ensemble. Alors qu'il ne le mérite même pas. Peut-être qu'il est déçu que j'ai fait toutes ces choses dégoûtantes. C'est peut-être ça ma sanction. Peut-être que je suis punie pour tout les péchés que je vais commettre à l'avance. Ou alors j'étais une putain dans une vie antérieure, ou une criminelle. J'espère au moins que ça en valait la peine. Ça y est je disjoncte, je commence à parler comme si ma vérité s'agissait d'une vérité universelle. Je confond mes théories avec la vraie vie. L'alcool fait son effet, enfin.

Une autre gorgée, pour la forme. L'inconnu a finit de tirer sur son joint. Joint vraiment finement roulé d'ailleurs, très délicat. Il attrape une guitare électrique vert amande et monte sur un coin de la scène. Il glisse un mediator entre ses lèvres avant de jouer une mélodie que je n'entend pas à cause du brouhaha environnant. Je finis le fond de boisson qu'il me reste avant d'aller jeter la bouteille à la poubelle. J'en ai assez vu et surtout assez entendu. Je tente de récupérer mon sac mais Michael me barre la route. Je pousse un soupir en fermant les yeux, trop longtemps apparament parce qu'il me demande si ça va.

LES NUITS D'OPIUMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant