les nuits fauves

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- Garrett a demandé de tes nouvelles, lâche Leïla.

Le vent souffle dans nos cheveux. Les siens courts, les miens longs. Le ciel est d'un rose surprenant, il est onze heures du matin. Nous avons une heure de pause.

- Ah oui?

Après qu'il m'ait ramené à la fête à dix heures du matin, je n'ai plus eut de contact avec lui. Je n'ai pas cherché à lui parler à nouveau.

- Oui, il voulait avoir ton numéro.
- Oh.

C'est tout ce que je trouve à dire. Je sens son regard dardé sur moi.

- Je savais pas que tu lui avais parlé. Il s'est passé quelque chose à la fête?
- On a discuté.

Je n'ai plus envie de lui parler de ce genre de chose. On s'est tellement éloignées l'année précédente que nous n'avons quasiment plus rien à nous dire. Et maintenant que son petit-ami est à l'Université, elle est de retour parmi nous. Mais quelque chose a changé dans nos rapports, tout est différent.

- Et toi, tu le connais? Je demande.

Elle hausse les épaules.

- J'ai un peu discuté avec lui, il fait une année sabbatique. Il est en fac de musique de base.

Je hoche la tête distraitement.

- Il donne des concerts dans Vérone, je crois qu'il a du succès. C'est une connaissance de Suzanne.
- Tu lui as donné mon numéro?
- Oui, j'aurais pas dû?
- Si, si, t'inquiète pas.
- Il a l'air de t'apprécier.

Je garde le silence et me contente d'observer le soleil derrière les nuages roses. Le ciel est d'or et de bronze.

- Tu viens à la maison ce soir?
- Oui, je t'ai dit que je viendrai, lui souris-je.

La perspective de dormir dans une pièce sale et sans chauffage me déprime mais je lui dois au moins ça avec mon absence de réponses développées et la manière dont je m'éloigne régulièrement sans prendre la peine de prévenir.

- Cool, on fera de la pizza vegan.

Je lui souris faussement en pensant à ses fameuses immondes pizzas.

- J'ai hâte d'être au rassemblement!

Au programme ce soir : "Nuit Debout", un genre de réunion pour discuter des récentes lois passées et d'autres associations comme celles de protection animale. Je vais m'emmerder, comme à chaque fois mais au moins, je ne passerai pas ma soirée à attendre que la nuit tombe, allongée sur mon lit comme une âme en peine. Au moins, je n'aurais pas à affronter ma famille.

***

Garrett arrive en fin de réunion, sur sa bicyclette jaune, cheveux aux vents. La nuit tombe peu à peu, tout les regards se tournent vers lui. Lui et son skinny jean noir, ses lunettes de soleil vintage et ses bottines argentées. Il descend élégamment du vélo et le couche à ses côtés avant de faire son chemin jusqu'à moi et de s'assoir en tailleur. Son sourire d'enfant me réchauffe les entrailles, et son parfum inonde à nouveau l'habitacle. Je me sens comme une junkie en manque, j'ai envie d'inspirer l'air à pleins poumons, de le respirer lui. Je me bat contre mes instincts durant toute la réunion pour ne pas le toucher. Mon corps tangue dangereusement dans la direction du sien, comme lorsqu'on marche près d'une étendue d'eau. Après plusieurs minutes de concentration extrême, la réunion touche enfin à sa fin et chacun se lève. La nuit est tombée, le ciel est d'un noir d'encre et les lumières dansent à travers la place et ses jeux d'eau. Les jais se déclenchent et Leïla sors une enceinte.

LES NUITS D'OPIUMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant