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– Excusez-moi, Mlle Everdeen, cette zone est interdite. Je vais vous demander de faire demi-tour.

L'homme qui s'est adressé à moi porte un uniforme blanc qui me rappelle drôlement celui que portaient les Pacificateurs. Il me dévisage sereinement à travers la vitre teintée de son casque, comme s'il était persuadé que j'allais répondre à ses ordres et tourner des talons sans protester. Ignorant les propos qu'on m'adresse, je contourne l'homme pour faire face au grillage électrifié qui sépare le centre du District 12 de sa forêt - de ma forêt. L'homme ne pointe pas son arme sur moi, ne dit pas un mot. A vrai dire, il ne semble guère se soucier de mon manque d'obéissance. Je me rappelle alors que je ne suis qu'une pauvre fille mentalement perturbée aux yeux de Panem et ses habitants. Une rebelle n'ayant pas tenu le coup psychologiquement, une énième victime de la révolte ayant soulevé la nation. Je ne risque rien à violer les règles de la société : je sais que Paylor fermera les yeux sur n'importe quel geste déplacé ou comportement inapproprié de ma part. Et puis, ce n'est pas comme si me promener dans une zone interdite du 12 était le pire crime que je n'aie jamais commis durant les cinq dernières années.
Je m'approche du grillage, me surprends à devoir lever ma tête vers le ciel pour pouvoir observer sa hauteur. Il doit dépasser les cinq mètres. Plus j'incline ma tête pour tenter d'apercevoir sa fin, et plus il s'élève dans le ciel. A mois que ce ne soit moi qui m'enfonce dans la terre ?
Je baisse les yeux, je commence à avoir le tournis. Pourquoi, soudainement, la simple clôture aisément franchissable s'était transformée en une monstrueuse grille de prison ? Je me retourne, cherche l'homme en uniforme qui a essayé de me barrer la route. Essayait-il vraiment de me prévenir d'un quelconque danger ? J'ose un regard vers la grille électrifiée, sa hauteur me fait tourner la tête davantage. Elle se dresse devant moi comme un mur blanc qui me barrerait la route. La route vers le seul endroit en ce monde où je me sente vraiment moi-même. Elle se dresse devant moi comme un obstacle. Elle sert de frontière à une arène dans laquelle je suis prisonnière. Une arène.
Mes jambes se dérobent sous moi. Le mot a provoqué un tremblement qui parcourt mon corps de la tête aux pieds.

Quand mes genoux touchent l'herbe, le monde bascule autour de moi. Je ne suis plus devant le grillage qui sépare le Pré de la forêt. Non. Je suis dans la forêt. Je reconnais le lac, notre lieu de rendez-vous favori avec Gale. Je suis à genoux sur le rocher sur lequel nous nous asseyions après une dure journée de chasse. C'est là que Cressida nous avait filmé pour un spot de propagande. Le bruit de l'eau et du vent qui agite les feuilles des arbres me rassurent. Je reprends peu à peu mon souffle, toujours sous le choc de ce brutal changement de lieu. Avais-je été droguée ? Pourquoi ne me rappelais-je de rien ? Les battements de mon coeur s'accélèrent à nouveau, je crois.

– J'étais sûr de te trouver là, Catnip.

Cette fois-ci, j'en suis sûre : mon coeur s'est arrêté. Au son de sa voix, en l'entendant m'appeler de cette façon. Je n'ose pas me retourner, sûrement de peur de découvrir que ce bruit n'était que le fruit de mon imagination. Puis je le sens me toucher l'épaule. Fermement, mais avec une certaine douceur que je ne lui connais pas. Je sens son odeur, j'entends sa respiration calme qui contraste avec la mienne, plus saccadée. Il s'asseoit à mes côtés, et je tourne enfin la tête vers lui.

– Gale...

Il n'a pas changé. En fait, il est exactement dans le même état que je l'ai laissé au Palais Présidentiel, il y a trois ans de cela. Il a ce même regard plein de remords, une larme de honte coule sur chacune de ses joues. Ses blessures n'ont pas cicatrisées, c'est comme si les bombes du Capitole – dont il est le principal inventeur – avaient éclaté à son visage le matin-même. Il n'a pas vieilli, pas un centimètre carré de sa personne n'a changé depuis trois ans. Comment est-ce possible ?

Ce qui devrait m'étonner n'a même pas l'importance que je lui accorde mon attention : je pose ma tête sur l'épaule de Gale et pendant ce qui me paraît durer des heures, nous restons là, muets comme des Avox, à contempler les plans de katniss qui s'agitent dans l'eau transparente de la rivière. Je ne pense à rien. Mais lui a l'air de beaucoup penser. Et un moment, il brise le silence, et dit tout près de mon oreille :

– C'est de ta faute, Katniss.

Je n'ai pas le temps de m'indigner qu'il resserre ses mains froides autour de mon cou et nous jette tous les deux dans le lac. J'ai ses mots en travers de la gorge tandis qu'il achève de me noyer dans l'eau.

Je me redresse subitement, trempée de sueur. Mes cris étouffés semblent avoir réveillé Peeta, qui me ramène contre lui sans me poser de question. Il sait très bien de quoi sont faites mes nuits. De cauchemars dans lesquels je suis de retour dans l'arène des Jeux, d'affreux rêves qui me remémorent chaque personne que j'ai pu tuer, involontairement ou non, durant mon existence – souvent, ces rêves-là paraissent interminables, car la liste des personnes est plus que longue. Je me blottie contre le torse de Peeta tandis que sa main caresse mes cheveux tressés que je n'ai pas eu la motivation de défaire avant de me coucher.
Voudrait-il savoir quelle avait été la forme que mon rêve avait prise cette nuit ? Il ne serait pas jaloux, certes : je n'éprouve plus aucun amour pour Gale depuis voilà bien longtemps. Mais il s'inquiéterait probablement pour moi en sachant que chacun de mes cauchemars me rappelle à quel point je suis coupable de tout ce qui s'est passé. Je crois que le pire n'était pas de m'être faite à moitié tuée par mon meilleur ami dans mon rêve, mais plutôt qu'il avait raison sur toute la ligne en me pointant du doigt.
Je ne réussis pas à me rendormir, même dans les bras de celui que j'aime. Le visage de Gale et sa voix pleine de reproches restent dans ma tête jusqu'au petit matin.

Hunger Games : Post-MockingjayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant